« De quels types de médias la démocratie a-t-elle besoin ? » : Un dialogue euro-africain sur la liberté d’informer

À l’heure où les démocraties vacillent sous le poids des désinformations, des replis identitaires et des manipulations numériques, la question du rôle des médias n’a jamais été aussi cruciale. C’est autour de ce thème – « De quels types de médias la démocratie a-t-elle besoin ? » – qu’un panel d’experts s’est réuni à Montpellier, dans le cadre de la Biennale Euro-Africa 2025.
Modérée par Olivier Piot, directeur général de Médias & Démocratie International, la conférence a réuni Harold Leckat Igassela, directeur de publication de Gabon Media Time ; Carine Oum, journaliste indépendante camerounaise ; Praxelle Moudeke, de Gabon 24 ; Olivier Marino, directeur de la rédaction de Midi Libre ; et Martial Idoundou, journaliste et directeur adjoint de Médias & Démocratie Gabon.
Sans médias libres, pas de démocratie vivante
D’entrée, Olivier Piot a rappelé la vocation du programme Médias & Démocratie : renforcer le lien entre liberté d’informer et vitalité démocratique. « Les médias ont un rôle décisif dans la promotion, la construction et la défense de la démocratie. Et cela est vrai sur tous les continents », a-t-il expliqué.
Une conviction partagée par Harold Leckat Igassela, pour qui la presse n’est pas un simple relais de l’information, mais un pilier du pacte républicain. « Le média est au cœur de la démocratie parce qu’il incarne le contre-pouvoir. Or, dans un système où le pouvoir politique détient aussi le pouvoir économique, l’indépendance devient un acte de résistance », a-t-il affirmé, soulignant que la séparation des pouvoirs n’a de sens que si elle est observée, surveillée et questionnée.
Au Gabon, où la concentration médiatique est étroitement liée aux réseaux d’affaires et à l’État, cette résistance prend souvent la forme d’un combat quotidien. « Quand les acteurs économiques sont les mêmes que les acteurs politiques, la liberté de ton devient un risque personnel », a rappelé le directeur de Gabon Media Time.
L’indépendance éditoriale, une bataille concrète
Les témoignages des journalistes africains présents ont illustré les obstacles concrets à la liberté d’informer. Praxelle Moudeke, de la chaîne publique Gabon 24, a reconnu la difficulté de concilier mission d’information et contraintes hiérarchiques. Un constat renforcé par Carine Oum, journaliste camerounaise. « Dans les médias publics, on accompagne le pouvoir. Dans les médias indépendants, on l’interpelle. C’est toute la différence », a-t-elle martelé.
La question du financement, elle aussi, a été abordée sans détour. Les grands groupes économiques – souvent liés aux gouvernements – orientent la ligne éditoriale par le biais de la publicité institutionnelle. « Quand un média dépend des contrats publicitaires d’une multinationale proche du pouvoir, la liberté devient un luxe », a dénoncé Harold Leckat.
L’urgence de repenser les modèles de presse africaine
Au-delà du constat, le panel a proposé des pistes de refondation : créer un écosystème de presse durable, fondé sur l’équité publicitaire, la transparence et la protection juridique des journalistes. Pour Martial Idoundou, il s’agit avant tout d’un enjeu de survie civique. « Quand les médias disparaissent, la démocratie meurt à petit feu. L’information libre, c’est le dernier rempart contre l’arbitraire », a-t-il précisé.
Le cas du Gabon a été cité comme emblématique : après des décennies de contrôle médiatique, les médias en ligne et les plateformes indépendantes deviennent aujourd’hui les nouveaux espaces de pluralisme. Mais sans protection légale, ces initiatives restent vulnérables.
Le lien entre information, culture et citoyenneté
Pour conclure, Harold Leckat a élargi le débat : « Une vraie démocratie a besoin de médias, mais aussi de livres, de musique, de culture. Parce que sans médias, il n’y a pas de sens, et sans sens, il n’y a plus de société. »
De son côté, Olivier Marino, directeur de Midi Libre, a rappelé le rôle fondamental de la presse locale dans la cohésion territoriale. « La démocratie, ce n’est pas seulement les grands débats nationaux. C’est aussi l’information de proximité, le lien social, la vérité du quotidien », a-t-il expliqué.
L’Afrique, entre autoritarisme et renaissance démocratique
Alors que le continent africain oscille entre tentations autoritaires et espoirs de renouveau, le débat de Montpellier a fait écho à une évidence : aucune démocratie ne peut exister sans médias libres. « La question n’est plus de savoir si la presse doit être indépendante, mais combien de temps nos sociétés peuvent survivre sans elle », a conclu Harold Leckat Igassela.
Une conclusion qui résonne comme un avertissement, mais aussi comme une promesse : celle d’un continent où l’information redeviendra, un jour, un bien commun.
GMT TV