Clare Hart : «Europe et Afrique sont condamnées à réussir ensemble»

À Montpellier dans le sud de la France, la mobilité est devenue un droit. Depuis 2023, les transports publics y sont gratuits pour tous les habitants de la métropole. Une mesure écologique, sociale et profondément politique, qui reflète une philosophie plus large : celle d’un territoire harmonieux où les communes conjuguent leurs forces au lieu de se concurrencer. Dans cet entretien accordé à Gabon Media Time dans le cadre de la Biennale Euro-Africa, tenue du 6 au 12 octobre 2025 à Montpellier et sa métropole, Clare Hart revient sur ce modèle de gouvernance métropolitaine, et livre un message fort aux décideurs africains, à l’heure où la décentralisation peine encore à s’imposer comme un pilier du développement local.
Gabon Media Time : Madame la Vice-présidente, Montpellier est devenue l’une des premières métropoles européennes à instaurer la gratuité totale des transports publics. Quelle est la philosophie derrière cette décision, et comment fonctionne ce modèle ?
Clare Hart : Nous sommes partis d’un constat simple : la mobilité est un droit fondamental. Dans notre campagne municipale, nous avons défendu l’idée que chacun devait pouvoir se déplacer librement, sans obstacle financier. La gratuité des bus et des tramways répond à deux objectifs majeurs : d’abord, dépolluer la ville, en réduisant la circulation automobile pour la santé publique et la planète ; ensuite, alléger la charge des ménages, pour que se déplacer ne soit plus un luxe.
Aujourd’hui, les transports sont gratuits dans toute la Métropole de Montpellier, soit la ville-centre et les 30 communes environnantes. Cette mesure n’est pas symbolique : elle transforme concrètement le quotidien des habitants. Les usagers ont retrouvé une liberté de mouvement, et nous observons une nette augmentation de la fréquentation des transports collectifs.
La question du financement est souvent un frein à ce type de politique. Comment Montpellier a-t-elle réussi à rendre la mobilité gratuite sans déséquilibrer ses finances publiques ?
C’est une mesure audacieuse, mais économiquement solide. Montpellier est une métropole très attractive. De nouvelles entreprises s’y implantent, ce qui élargit notre base fiscale. Cela nous permet de financer la gratuité grâce à deux leviers : la taxe mobilité, payée par les entreprises, et les recettes propres de la collectivité.

Concrètement, c’est un partage équitable : 50 % du coût est supporté par les entreprises, via la taxe transport, et 50 % par la Métropole. Et les entreprises ne s’en plaignent pas, bien au contraire. Elles y voient une fierté : participer à un projet collectif qui renforce l’attractivité du territoire, réduit les embouteillages et améliore la qualité de vie de leurs salariés.
Au Gabon, la capitale Libreville s’est agrandie avec ses banlieues d’Akanda, Owendo et Ntoum, mais sans réelle coordination métropolitaine. Comment fonctionne, concrètement, une métropole comme celle de Montpellier, et que pourrait-elle inspirer à une ville comme Libreville ?
Une métropole, c’est avant tout la mutualisation des compétences et des ressources. À Montpellier, les communes membres ont choisi de travailler ensemble pour éviter les doublons et les gaspillages. Nous gérons en commun le transport, le logement social, la culture, le développement économique ou encore les équipements sportifs.
Cela signifie qu’au lieu que chaque commune veuille “sa” piscine, “son” théâtre ou “son” cinéma, nous construisons des équipements partagés, harmonieusement répartis sur le territoire. Le résultat est simple : tout le monde y gagne. Les habitants ont accès à davantage de services, et les finances publiques sont mieux utilisées. C’est un modèle d’harmonie territoriale qui repose sur une gouvernance collégiale et une vision commune du développement.

En Afrique, et notamment au Gabon, la décentralisation peine encore à devenir une réalité. Quels enseignements tirez-vous de votre expérience en matière de gouvernance locale ?
La France aussi a longtemps été très centralisée. Ce que nous avons appris, c’est que décentraliser, c’est rendre la décision plus efficace. Cela rapproche les élus des citoyens, favorise la transparence et évite les dépenses inutiles. Quand les maires, les conseillers métropolitains et les acteurs économiques travaillent ensemble, ils bâtissent un territoire cohérent, où les politiques publiques se complètent au lieu de se contredire.
Il faut oser faire confiance aux collectivités locales, leur donner les moyens d’agir, et les responsabiliser. C’est à cette condition qu’on peut créer un développement équilibré et durable.
Un mot enfin sur la coopération euro-africaine. Vous participez à la Biennale Euro-Africa 2025 à Montpellier. Quel message souhaitez-vous adresser à vos partenaires africains, notamment gabonais ?
Je crois profondément que l’Europe et l’Afrique partagent le même destin. Nous sommes condamnés à vivre ensemble, donc condamnés à réussir ensemble.

Nos défis – le climat, les migrations, la jeunesse, la croissance – sont communs. Nous devons renforcer les coopérations décentralisées, c’est-à-dire entre collectivités locales, universités, acteurs économiques et médias.
Je n’ai pas encore eu le bonheur de visiter le Gabon, mais je souhaite le faire. Votre pays a un potentiel immense. Et je veux dire à vos élus comme à vos citoyens : la démocratie est exigeante, mais c’est la plus belle des choses. C’est en travaillant ensemble, du national au local, que nous construirons des sociétés plus justes, plus durables et plus pacifiques.
Un dernier mot ?
Protégeons notre planète, c’est notre bien commun. Aujourd’hui, le monde bruisse du bruit des bombes. Il faut revenir à l’essentiel : la coopération, la solidarité et la responsabilité.
C’est cela, le véritable sens de cette Biennale Euro-Africa : construire des ponts, pas des murs.
Entretien réalisé par Harold Leckat, Directeur de publication de Gabon Media Time, dans le cadre de la Biennale Euro-Africa, tenue du 6 au 12 octobre 2025 à Montpellier et sa métropole à laquelle Medias & Démocratie était partie prenante.
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