Derniers articlesTribune

Un Président élu sans parti politique au Gabon peut-il en créer un ou y adhérer sans perdre son mandat? Ce que dit le Droit

Ecouter l'article

La récente publication d’un parlementaire de la transition sur l’article 82, alinéa 3, du Code électoral, relance un débat de fond sur les limites juridiques imposées aux élus indépendants. Cette disposition, qui prévoit la perte de mandat en cas d’adhésion à un parti politique par un élu indépendant, peut-elle s’appliquer au président de la République ? Dans ce libre propos, Me Vivien Péa propose sa lecture juridique, en prenant appui sur les principes constitutionnels, le statut singulier du chef de l’État et la hiérarchie des normes. Sans trancher définitivement, il interroge la pertinence d’une application uniforme de cette règle à toutes les catégories d’élus, et plaide pour une interprétation conforme aux exigences démocratiques et institutionnelles. Une réflexion qui, à l’heure où les contours du nouveau régime se redéfinissent, mérite d’alimenter le débat public. Lecture.

« Le débat soulevé publiquement par un parlementaire de la transition sur la possibilité pour le Président de la République gabonaise, élu comme indépendant, de créer un parti politique en cours de mandat, mérite un éclairage juridique rigoureux. Ce dernier s’appuie en effet, sur l’article 82 du Code électoral pour soutenir que tout élu indépendant qui adhère à un parti encourt la perte de son mandat. Mais une telle lecture, bien qu’apparemment fondée sur le texte, ne résiste pas à une analyse sérieuse des principes constitutionnels, de la nature même de la disposition invoquée, ni de l’intention du législateur.

Il est vrai que l’article 82 du Code électoral Gabonais dans sa rédaction issue de la Loi organique n° 001/2025 du 19/01/2025 portant Code Electoral en République Gabonaise, interdit à « tout élu en qualité d’indépendant ou devenu indépendant à la suite de la dissolution du parti ayant présenté sa candidature » d’adhérer à un parti politique légalement reconnu, sous peine d’annulation de son élection. Cette interdiction a une finalité bien précise qui est celle de lutter contre la transhumance politique, c’est-à-dire le nomadisme partisan, source d’opportunisme et de trahison du mandat électoral. Partant de ce postulat, la disposition vise à garantir la stabilité politique et la fidélité des élus à l’esprit du vote populaire. Elle s’adresse aux élus dont le positionnement politique est un élément déterminant du scrutin (les députés, sénateurs, conseillers municipaux et départementaux, élus de listes) et dont l’adhésion à un parti pourrait altérer l’équilibre de la représentation.

Or, si le Code électoral précise à son article 2 qu’il s’applique à l’élection présidentielle, cela ne suffirait en aucun cas à assimiler mécaniquement le Président de la République à tout autre élu. Le Chef de l’État gabonais est élu au suffrage universel direct, au scrutin uninominal majoritaire à deux tours, en vertu des articles 42 et suivants de la Constitution. Il incarne l’unité nationale, détermine la politique de la Nation, et n’est investi d’aucun mandat partisan stricto sensu au moment de son élection. Par conséquent, appliquer à son cas une logique conçue pour éviter notamment les jeux d’alliances parlementaires reviendrait à méconnaître la spécificité du mandat présidentiel.

Plus encore, la Constitution gabonaise de 2024, qui il faut le rappeler, trône au sommet de la hiérarchie des normes, encadre strictement les conditions d’entrée en fonction, de fonctionnement et de cessation du mandat présidentiel. Elle ne prévoit nulle part que l’adhésion à un parti politique (encore moins la création d’un parti) puisse constituer un motif de perte de mandat. Les causes jusque-là reconnues de cessation anticipée du mandat présidentiel sont limitées à la démission, à l’empêchement, à la fin du terme légal ou à la mise en accusation pour haute trahison ou violation du serment devant la Haute Cour de Justice. Toute disposition de rang législatif ou organique qui prétendrait ajouter une cause de déchéance serait manifestement inconstitutionnelle.

Il convient également de rappeler à toutes fins utiles que le droit constitutionnel consacre pleinement la liberté d’association politique. A ce titre, l’article 21 de la Constitution garantit à tous les citoyens, sans distinction, le droit de créer ou d’adhérer librement à des partis politiques. Cette liberté est d’autant plus renforcée lorsqu’elle concerne un Président de la République désireux de structurer une majorité politique pour porter son projet politique. L’interdire reviendrait à restreindre l’une des libertés les plus fondamentales sans base constitutionnelle expresse. Ce d’autant plus que la distinction entre « adhérer à un parti » et « créer un parti » n’est pas anodine.

L’article 82 interdit clairement l’adhésion à un parti existant. Mais il ne dit rien de la création d’un parti nouveau. Or, d’un point de vue juridique, créer un parti est un acte fondateur, une initiative politique indépendante, et non une soumission à une idéologie ou à une structure préexistante. Il n’y a donc pas lieu d’étendre, par analogie, une interdiction claire à un comportement différent, sans texte exprès. Ce serait contraire au principe d’interprétation stricte des dispositions restrictives de droit.

En outre, le contexte législative est en pleine évolution puisqu’une loi spéciale sur les partis politiques est en cours d’élaboration, et sera prochainement examiné par le Parlement. Elle viendra notamment encadrer la reconnaissance, l’organisation et le fonctionnement des formations politiques en République gabonaise. En vertu du principe général de droit lex specialis derogat legi generali (la loi spéciale déroge à la loi générale), cette nouvelle loi prévaudra sur les dispositions générales du Code électoral. Si elle consacre, comme il est probable, la possibilité pour tout citoyen, y compris un élu indépendant, de créer un parti dans le respect de certaines conditions, cette norme primera et rendra caduque toute interprétation extensive de l’article 82.

Enfin, la pratique institutionnelle et la jurisprudence comparée confirment cette position. Dans plusieurs États africains et occidentaux, des chefs d’État élus hors des partis traditionnels ont créé leurs propres formations après leur élection, sans qu’aucune disposition légale ne l’entrave. Emmanuel Macron en France, Macky Sall au Sénégal, Patrice Talon au Bénin ou Kaïs Saïed en Tunisie en sont des exemples probants. Tous ont pu structurer une offre politique cohérente autour de leur vision, sans porter atteinte à la sincérité du suffrage initial.

Ainsi, prétendre que le Président gabonais ne pourrait créer un parti politique au seul motif de son élection en tant qu’indépendant est juridiquement erroné, et politiquement réducteur. Une telle position méconnaît la lettre du droit, l’esprit des institutions et les exigences démocratiques. La Constitution garantit la liberté d’association, la distinction entre adhésion et création est claire, et la loi spéciale à venir permettra d’en encadrer les modalités. Le Président de la République, garant de l’unité nationale et du bon fonctionnement des institutions, peut donc légitimement créer un parti politique, sans que cela ne constitue une violation de l’article 82, ni une trahison de son mandat.

Me Vivien PÉA
Avocat à la Cour »

Casimir Mapiya

« Mieux vaut une vérité qui fait mal, qu'un mensonge qui réjouit. » Proverbes berbères

Articles similaires

Un commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

GMT TV

Bouton retour en haut de la page