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Transport aérien : pendant que la CEDEAO libère le ciel, le Gabon s’enferme dans la rente

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Alors que l’Afrique de l’Ouest s’apprête à franchir un cap décisif dans l’intégration régionale, l’Afrique centrale, et le Gabon en particulier, donne le spectacle inverse : celui d’un ciel verrouillé par les taxes, la bureaucratie et l’inaction réglementaire.

À compter du 1ᵉʳ janvier 2026, la CEDEAO supprimera l’ensemble des taxes sur le transport aérien et réduira de 25 % les redevances passagers et de sécurité. Une décision structurante, assumée politiquement, visant à faire baisser le prix des billets, stimuler la mobilité intra-régionale et renforcer les compagnies aériennes locales. «Une fois les taxes supprimées, la prochaine étape sera d’inciter les compagnies à réduire leurs tarifs », a clairement expliqué Chris Appiah, directeur du Transport à la Commission de la CEDEAO. La logique est simple : moins de prélèvements publics, plus de trafic, plus d’activité, plus de retombées économiques.

L’Afrique centrale à contre-courant

Pendant ce temps, en Afrique centrale, le ciel se ferme. Selon l’IATA, la CEMAC retient 179 millions de dollars de recettes appartenant aux compagnies aériennes, faisant de la zone la deuxième pire région au monde en matière de blocage de fonds, juste derrière l’Algérie. Des recettes pourtant légitimes, issues de billets vendus, mais bloquées dans un processus opaque à la BEAC, malgré des dossiers jugés conformes.

Résultat : compagnies étranglées, dessertes réduites, billets plus chers, connectivité affaiblie. Un cercle vicieux parfaitement connu, mais jamais sérieusement traité.

Le Gabon, champion africain de la surtaxation aérienne

Le cas du Gabon est emblématique, et inquiétant. Selon le rapport 2024 de l’Association des compagnies aériennes africaines (AFRAA), le pays se classe en tête des États africains où les taxes et redevances sur les vols internationaux sont les plus élevées. Un passager quittant Libreville paie en moyenne 297,70 dollars – plus de 167 000 FCFA – uniquement en frais et taxes, indépendamment du prix du billet.

Le constat est sans appel : « Le Gabon est le pays le plus cher d’Afrique pour les départs aériens internationaux », tranche l’étude AFRAA Taxes and Charges Study Review 2024. Un fardeau tarifaire qui pénalise à la fois les compagnies aériennes – dont la rentabilité est rognée – et les voyageurs, exclus de fait de la mobilité aérienne.

Où est passée l’ANAC ?

Face à ce tableau, une question s’impose : à quoi sert l’Agence nationale de l’aviation civile (ANAC) du Gabon si elle est incapable de jouer pleinement son rôle de régulateur stratégique ?
Être régulateur ne consiste pas seulement à délivrer des licences, contrôler des documents ou percevoir des redevances. Cela implique d’orienter l’État vers des réformes structurelles, d’alerter sur les effets pervers d’une fiscalité excessive, de défendre la compétitivité du secteur et l’intérêt général. En clair : réguler, c’est arbitrer, proposer, influencer.

Or, pendant que la CEDEAO allège, le Gabon surcharge. Pendant que l’Ouest africain prépare un ciel plus accessible, Libreville persiste dans une logique de rente à court terme, au détriment du trafic, du tourisme, des affaires et de l’intégration régionale. À ce rythme, le risque est évident : un secteur aérien atrophié, des compagnies qui désertent, des lignes supprimées, et une ANAC réduite à réguler… un marché en déclin. Car si le ciel se vide, il n’y aura bientôt plus rien à encadrer.

La comparaison avec la CEDEAO est cruelle mais salutaire. Elle montre qu’une autre voie est possible, à condition d’avoir le courage politique de rompre avec les réflexes fiscaux archaïques et de considérer enfin le transport aérien comme un levier de développement, et non comme une simple caisse de prélèvements.

La question n’est donc plus technique. Elle est politique, stratégique et urgente. Et elle engage directement la responsabilité du régulateur gabonais.

Karl Makemba

Engagé et passionné, Karl Makemba met son expertise et sa plume au service d’une information rigoureuse et indépendante. Fidèle à la mission de Gabon Media Time, il contribue à éclairer l’actualité gabonaise avec une analyse approfondie et un regard critique. "La liberté d'expression est la pierre angulaire de toute société libre." – Kofi Annan

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