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Taxe Forfaitaire d’Habitation (TFH) : A l’épreuve des chiffres, entre forfait affiché et proportionnalité implicite

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Qu’entend-on par taxe forfaitaire ? Indépendamment du fait qu’elle soit d’habitation, de collecte d’ordures, de développement touristique ou autre. On peut entendre par taxe forfaitaire un impôt (pour rester dans le contexte) prélevé à taux fixe, qui ne dépend ni du revenu ni de toute autre valeur patrimoniale. Ce prélèvement fiscal est fixé à l’avance de manière identique pour tous les contribuables, indépendamment de leur niveau d’activité exact.

Dans le contexte de la TFH, cette taxe a été prédéterminée selon une grille en fonction du lieu d’habitation. Elle n’est donc pas proportionnelle à une base économique (revenu, salaire, patrimoine, etc.). D’ailleurs, L’Union du 6 décembre 2025 a officiellement publié la grille forfaitaire de répartition de la taxe d’habitation en fonction des zones. Il en ressort, par exemple, que les montants forfaitaires applicables sur l’ensemble du pays vont de 500 FCFA à 50 000 FCFA. Nous avons notamment constaté :

  • Taxe forfaitaire de 50 000 FCFA : pour les entreprises industrielles et commerciales installées dans l’Estuaire.
  • Taxes forfaitaires de 20 000 FCFA et 3 000 FCFA : respectivement pour les entreprises industrielles et commerciales installées dans les chefs-lieux de province (hors Estuaire), et pour les PME et petits commerces dans la même zone.
  • Taxes forfaitaires de 3 000 FCFA et 1 000 FCFA : pour les chefs-lieux de province (hors Estuaire), respectivement pour les habitations en centre-ville et hors centre-ville.
  • Taxes forfaitaires de 5 000 FCFA et 500 FCFA : respectivement pour les entreprises industrielles et commerciales, ainsi que pour les habitations installées dans les chefs-lieux de département.

Pour ce qui est du Grand Libreville, la taxe appliquée aux habitations varie de 30 000 FCFA à 1 000 FCFA, répartie en quatre zones (30 000 FCFA, 20 000 FCFA, 10 000 FCFA et 1 000 FCFA).

La standardisation des montants des prélèvements a pour mérite de faciliter la mise en œuvre de la taxe, de réduire (ce qui n’est pas négligeable) les coûts administratifs, et surtout d’assurer la prévisibilité de l’assiette fiscale globale attendu.

Pour comprendre le niveau de recette attendu, il convient donc d’associer le montant forfaitaire au nombre de foyers assujettis. Au 30 novembre 2025, la SEEG affiche un nombre de foyers actifs proche de 435 000, soit exactement 434 992 foyers, dont 59 868 foyers disposant de compteurs sociaux actifs, soit près de 60 000. Le Directeur général de la SEEG, Monsieur Steeve Saurel LEGNONGO de passage sur une émission spéciale consacrée à la TFH, l’a d’ailleurs rappelé :
« Nous avons aujourd’hui un parc actif de 435 000 compteurs, dont 60 000 compteurs sociaux […] Ils ne sont pas éligibles à la TFH. »

Le décor ainsi planté, interrogeons-nous alors sur le niveau de recette global attendu. De 2,8 milliards FCFA annoncés en début du mois de décembre, le Directeur général des Impôts, Monsieur Éric BOUMAH, sur ce même plateau télévisé, annonce plutôt une projection de 22,6 milliards FCFA en 2026. Rappelons que la taxe forfaitaire est, par définition, un montant fiscal fixe et déterminé à l’avance.

Permettez-nous donc d’en douter lorsque le Directeur général de la SEEG affirme :
« Un ménage résidant à Akanda, disposant d’une maison équipée de dix climatiseurs et de cinq congélateurs, ne paiera pas le même montant qu’un ménage vivant dans une habitation modeste avec une ampoule, un ventilateur et un congélateur. » soit deux ménages de la même zone.

Sommes-nous encore dans le principe d’une taxe forfaitaire, ou existerait-il une tarification cachée, non explicitée aux contribuables, transformant cette taxe en prélèvement proportionnel plutôt qu’en taxe forfaitaire ?

L’évolution brutale des prévisions de recettes liées à la TFH suscite donc de sérieuses interrogations quant à la fiabilité des estimations avancées et à la rigueur méthodologique appliquée. Passer de 2,8 milliards FCFA à 22,6 milliards FCFA, soit une hausse de plus de 900 %, sans modification explicite de l’assiette fiscale, des taux ou de la structure de la taxe, pose un réel problème de cohérence.

Les chiffres de base disponibles sont pourtant clairs :

  • Nombre total de foyers recensés : 434 992
  • Foyers détenteurs de compteurs sociaux exemptés : 59 868
  • Foyers effectivement assujettis à la taxe : 375 124

Ces données constituent le plafond absolu des foyers taxables. Toute projection sérieuse de recettes doit impérativement s’appuyer sur cette base, faute de quoi elle perd toute crédibilité analytique.

Les montants annoncés reposent sur un système de forfaits fixes, dont les niveaux sont connus et plafonnés. Or, pour le cas du Grand Libreville, on constate que les zones à tarification basse (1 000 FCFA) regroupent plusieurs quartiers des arrondissements les plus peuplés de la ville. On peut donc, au risque de se tromper, affirmer que la majorité des contribuables concernés se situe dans ces zones. Dans ces conditions, la contribution moyenne par foyer demeure structurellement limitée. Même en mobilisant des hypothèses volontairement optimistes quant à la répartition des contribuables dans les tranches supérieures, la prévision globale annoncée reste mécaniquement contrainte par la taille de l’assiette et par le plafond des forfaits.

Autrement dit, le chiffre de 22,6 milliards FCFA se heurte à une contrainte mathématique, indépendante de toute considération politique ou sociale.

Incompatibilité manifeste entre la structure du foyer contribuable et l’objectif de 22,6 milliards FCFA

Avec les montants annoncés selon la grille tarifaire de la TFH, la moyenne par foyer se situerait autour de 16 500 FCFA, soit une recette totale attendue d’environ 6,1 milliards FCFA. Même en intégrant une forte dispersion des montants forfaitaires et en analysant l’écart-type de l’ensemble des données, on n’atteindrait toujours pas 22,6 milliards FCFA. Avec un écart-type d’environ 17 500 FCFA, l’assiette globale se situerait autour de 6,5 milliards FCFA.

Allons plus loin : si l’on retenait l’hypothèse irréaliste selon laquelle 100 % des foyers contribuables seraient tous taxés à 50 000 FCFA (Soit le forfait pour les entreprises industrielles et commerciales installées dans le Grand Libreville), la recette attendue ne dépasserait pas 18,7 milliards FCFA, soit encore 3,9 milliards FCFA de moins que la projection de 22,6 milliards FCFA.

Pour atteindre un tel niveau de recettes avec 375 124 foyers, il faudrait une contribution moyenne annuelle par foyer supérieure à 60 000 FCFA. Or, une telle moyenne est :

  • Incompatible avec l’existence massive de forfaits à 1 000 FCFA ;
  • Contradictoire avec la réalité socio-économique des zones concernées ;
  • Irréalisable sans une concentration anormalement élevée des foyers dans des tranches très supérieures, lesquelles n’ont jamais été annoncées ni justifiées.

Cette simple comparaison met en évidence un décrochage total entre la réalité de terrain et la projection budgétaire avancée.

Le chiffre de 2,8 milliards FCFA : une estimation cohérente et défendable

À l’inverse, une projection de l’ordre de 2,8 milliards FCFA correspond :

  • À une contribution moyenne annuelle réaliste par foyer ;
  • À une répartition majoritaire des contribuables dans les tranches basses ;
  • À une logique compatible avec les données sociales disponibles.

Ce niveau de recettes apparaît donc non seulement plausible, mais techniquement fondé, contrairement à l’estimation de 22,6 milliards FCFA, qui relève, en l’état, davantage de l’affichage politique que d’une projection budgétaire rigoureuse.

Enjeux de crédibilité et de gouvernance publique

Au-delà du débat chiffré, cette divergence majeure, en l’absence d’explications complémentaires et justifiées, pose un problème sérieux de crédibilité de l’action publique. Une politique fiscale ne peut être acceptée durablement si :

  • Ses objectifs évoluent brutalement sans justification transparente ;
  • Ses projections reposent sur des hypothèses implicites non documentées ;
  • Ses annonces ne sont pas adossées à une méthodologie vérifiable.

En l’absence d’un élargissement formel de l’assiette fiscale, d’une refonte explicite de la grille tarifaire forfaitaire, ou de l’introduction de mécanismes complémentaires clairement identifiés, le montant de 22,6 milliards FCFA ne peut être considéré ni comme atteignable, ni comme économiquement cohérent.

Toute autre affirmation devrait impérativement être accompagnée d’éléments techniques détaillés, faute de quoi elle s’expose à une remise en cause légitime et fondée.

Sommes-nous face à une taxe forfaitaire, ou à une taxe proportionnelle cachée ?

Lewis BACHAMA, Citoyen Gabonais, Associé gérant du cabinet d’intermédiation d’affaires LPB Conseils et Services

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