Séraphin Ondoumba: «l’objectif du mécanisme d’examen est d’aider les États parties à appliquer la Résolution 3/1»
C’est en application de la Résolution 3/1 adoptée par la Convention des États Parties à la Convention des Nations Unies Contre la Corruption et le Crime (CNUCC) dont le Gabon fait partie, que le pays est assujetti à un examen périodique d’application de ladite Convention. C’est à cet égard et conformément à la Convention que s’est ouvert le mercredi 17 mars 2021, au siège de la Commission Nationale de Lutte Contre l’Enrichissement Illicite (CNLCEI) à Libreville, le processus du second cycle de l’examen du Gabon. Désigné par le président de la CNLCEI, Nestor Mbou, en qualité de Point Focal ONUDC, chargé de coordonner la participation du Gabon au processus d’examen, le Commissaire-Membre de la CNLCEI, Séraphin Ondoumba, revient sur les tenants et aboutissants de ce processus.
Gabon Media Time: Pouvez-vous nous dresser l’historique de la création du mécanisme d’examen ?
Séraphin Ondoumba : Au cours de la troisième conférence des Etats parties, à Doha en 2009, les efforts de plaidoyer de la société civile ont porté leurs fruits avec l’adoption de la résolution 3/1 et des termes de référence du mécanisme d’examen.
Les termes de référence définissent les modalités d’examen par les pairs de l’application de la CNUCC à l’échelle nationale, prévoyant notamment la création d’un organe de contrôle appelé le groupe d’examen de l’application.
En juillet 2010, à Vienne, cet organe s’est réuni pour la première fois et a adopté des recommandations à destination des experts nationaux et du secrétariat de l’Office des Nations Unies Contre la drogue et le Crime (ONUDC) pour la conduite des examens de pays.
Quels sont les objectifs du mécanisme d’évaluation ?
Le mécanisme d’examen de l’application de la Convention des Nations Unies contre la corruption est un mécanisme intergouvernemental d’examen par des pairs, dans le cadre duquel chaque État partie est examiné par deux autres États parties (un du même groupe régional).
L’objectif du mécanisme d’examen est d’aider les États parties à appliquer la Convention en déterminant les succès et bonnes pratiques, les difficultés d’application et les besoins d’assistance technique pour chaque disposition de la Convention.
Chaque examen donne lieu à un rapport de pays et à un résumé analytique comprenant des observations et des recommandations sur l’application des dispositions de la Convention.
À cet égard et conformément à la Convention, en particulier en son article 63, le processus d’examen a pour but d’aider les États parties à appliquer la Convention, il doit notamment : promouvoir les objectifs de la Convention énoncés dans son article premier; fournir à la Conférence des informations sur les mesures prises et les difficultés rencontrées par les États parties pour appliquer la Convention; aider les États parties à identifier et à justifier les besoins spécifiques d’assistance technique, et promouvoir et faciliter la fourniture d’une assistance technique; promouvoir et faciliter la coopération internationale dans la prévention et la répression de la corruption, notamment le recouvrement d’avoirs; fournir à la Conférence des informations sur les succès obtenus, les bonnes pratiques adoptées et les difficultés rencontrées par les États parties dans l’application et l’utilisation de la Convention; promouvoir et faciliter l’échange d’informations, de pratiques et d’expériences acquises lors de l’application de la Convention.
Quel est le fonctionnement du mécanisme d’examen de la CNUCC ?
Conformément à la Résolution 3/1 adoptée par la Conférence des États Parties à la Convention des Nations Unies contre la corruption, dans les points 3 et 4 chaque phase d’examen comprend deux cycles, d’une durée de cinq ans chacun.
Le premier cycle (2010 – 2015) couvre le chapitre III, sur l’incrimination, la détection et la répression, ainsi que le chapitre IV, sur la coopération internationale. Le deuxième cycle (2016-2021) couvre le chapitre II, sur les mesures préventives, et le chapitre V, sur le recouvrement d’avoirs.
Pour chacune des quatre premières années du processus, environ un quart des Etats parties doit faire l’objet d’un examen, la cinquième année étant réservée aux retards imprévus ou aux pays ayant adhéré à la convention au cours du processus.
Quelles sont les différentes phases de l’examen pays ?
Phase I : Auto-évaluation
L’ONUDC informe l’Etat partie qu’il va être examiné. L’Etat partie identifie un point de contact chargé de coordonner la participation du pays au processus d’examen, puis remplit une liste de contrôle standardisée pour l’auto-évaluation.
Phase II : Examen par les pairs
Deux pays examinateurs, choisis au hasard, fournissent des experts pour former une équipe en charge de l’examen. Cette équipe effectue un examen préalable de la liste de contrôle d’auto-évaluation. Des informations supplémentaires peuvent être demandées au point de contact. Un dialogue direct est établi au moyen d’une visite pays.
Phase III : Rapport d’examen du pays et résumé analytique
Avec le soutien de l’ONUDC, les experts de l’équipe chargée de l’examen préparent un rapport d’examen de pays (80 à 300 pages). Ce rapport est envoyé au point de contact afin d’obtenir son approbation. En cas de désaccord, les examinateurs et le point de contact engagent un dialogue pour parvenir à un rapport final consensuel, qui n’est publié dans son intégralité qu’avec l’accord du pays examiné. L’équipe d’examinateurs produit un résumé analytique de ce rapport (7 à 12 pages), qui est automatiquement publié sur le site internet de l’ONUDC.
Quels sont les principes directeurs de l’évaluation ?
Les principes directeurs de l’évaluation sont entre autres
– Non-intrusif/non-punitif/pas de classements;
– Possibilité de partager les bonnes pratiques et les défis;
– Assister les États à appliquer la Convention;
– Approche géographique équilibrée;
– Aspect technique intergouvernemental;
– Complémenter les mécanismes d’examen existants;
– La diversité des systèmes juridiques et des niveaux de développement;
– Confidentialité.
Qu’en est-il de la participation de la société civile dans le processus d’examen ?
L’ONUDC reconnaît l’apport majeur de la société civile dans la lutte contre la corruption; aider les gouvernements à remplir leurs obligations émanant de la CNUCC et contribuer à l’évaluation continue de leur performance à cet égard, par le biais du mécanisme d’examen. La société civile joue un rôle important en tant qu’observateur indépendant de la mise en œuvre de la CNUCC au niveau national et de la transparence du processus d’examen.
La participation de la société civile est limitée par les principes directeurs du mécanisme d’examen de la CNUCC. Ces principes directeurs laissent aux Etats le soin de décider à quel point l’examen dont ils feront l’objet sera transparent et participatif.
Il revient donc au Gabon ( Etat sous examen, NDLR) de décider d’autoriser ou non :
– La participation de la société civile à l’auto-évaluation ;
– La publication d’informations sur le point de contact point focal) ;
– La publication en ligne de l’auto-évaluation ou l’accès des organisations de la société civile à l’auto-évaluation, sur demande ;
– L’opportunité d’un dialogue entre la société civile et les examinateurs, notamment avec la possibilité de soumettre des rapports écrits ;
– Une visite de pays avec la possibilité pour des groupes de la société civile et autres acteurs de rencontrer les examinateurs et de leur soumettre des contributions orales ou écrites ;
– La publication du rapport d’examen dans son intégralité (seule la publication du résumé analytique est obligatoire).
Il est donc important que les organisations de la société civile militent activement en faveur d’un processus d’examen transparent et participatif dans leur pays.
Quels sont de manière spécifique les articles en examen dans le chapitre II Mesures préventives de la CNUCC et qui en est le pays examinateur ?
Le pays examinateur pour ce chapitre est le Tchad. L’examen se porte sur les articles suivants :
– Article 5. Politiques et pratiques de la prévention de la corruption, p.9
– Article 6. Organe ou organismes de prévention de la corruption, p.10
– Article 7. Secteur public, p.10
– Article 8. Codes de conduite des agents publics, p.11
– Article 9. Passation des marchés publics et gestion des finances publiques, p.12
– Article 10. Information du public, p.13
– Article 11. Mesures concernant les juges et les services de poursuite, p.14
– Article 12. Secteur privé, p.14
– Article 13. Participation de la société, p.15
– Article 14. Mesures visant à prévenir le blanchiment d’argent, p.16
Les États parties sont tenus d’adopter des politiques concertées en vue de prévenir la corruption et de nommer “un ou plusieurs organes” afin de coordonner et superviser leur mise en œuvre. Les politiques préventives visées par la Convention comprennent des mesures concernant à la fois le secteur public et le secteur privé.
Celles-ci préconisent, entre autres, la transparence des passations de marchés publics et une bonne gestion financière, une fonction publique fondée sur le mérite, notamment le règlement des conflits d’intérêt, l’accès manifeste des citoyens à l’information, la réalisation d’audits et l’adoption de normes complémentaires au sein des entreprises privées, un appareil judiciaire indépendant, la participation active de la société civile dans les efforts de prévention et de lutte contre la corruption et des mesures visant à juguler le blanchiment d’argent.
Quels sont de manière spécifique les articles en examen dans le chapitre V Recouvrement d’avoirs et qui en est le pays examinateur ?
Le pays examinateur pour ce chapitre est la Libye. L’examen se porte sur les articles suivants :
– Articles 51. Dispositions générales, p.42
– Articles 52. Prévention et détection des transferts du produit du crime, p.42
– Articles 53. Mesures pour le recouvrement direct de biens, p.44
– Articles 54. Mécanismes de recouvrement de biens par la coopération internationale aux fins de confiscation, p.44
– Articles 55. Coopération internationale aux fins de confiscation, p.46
– Articles 56. Coopération spéciale, p.47
– Articles 57. Restitution et disposition des avoirs, p.47
– Articles 58. Service de renseignement financier, p.48
– Articles 59. Accords et arrangements bilatéraux et multilatéraux, p.49
Le recouvrement d’avoirs publics volés constitue un «principe fondamental» de la Convention et l’une de ses principales innovations. Selon de nombreux observateurs, le chapitre V est l’argument le plus «vendeur» de la Convention et la raison pour laquelle tant de pays en développement l’ont ratifiée.
Les dispositions de la CNUCC proposent aux pays un cadre juridique, au civil comme au pénal, pour faciliter la recherche, le gel, la saisie ainsi que la restitution des fonds obtenus à la suite d’activités de corruption. Dans la plupart des cas, l’État requérant se verra restituer les fonds recouvrés à condition d’en attester le droit de propriété. Il arrive parfois que les fonds soient directement restitués aux victimes de ces vols.
Quel procédé est utilisé de manière concrète dans le cadre de l’auto-évaluation ?
La Conférence des États parties a décidé qu’une liste de contrôle complète pour l’auto-évaluation devrait être utilisée pour faciliter la communication d’informations sur l’application de la Convention (résolution 3/1).
Plutôt que d’utiliser des questionnaires papier, l’ONUDC a mis au point une application informatique conviviale pour permettre aux États de fournir des informations sur la mise en œuvre de la Convention, le logiciel d’enquête Omnibus.
Cette application permet aux États parties d’évaluer la conformité de la législation nationale avec la Convention des Nations Unies Contre la Criminalité transnationale organisée et ses protocoles et avec la Convention des Nations Unies contre la corruption; d’identifier les besoins d’assistance technique et juridique et enfin, de partager les bonnes pratiques.
Qu’avez-vous à ajouter en conclusion de cet entretien ?
L’efficacité du processus d’évaluation de l’application de la CNUCC est tributaire de la participation effective et efficiente de l’ensemble des administrations concernées par les chapitres en examen et l’ensemble des parties prenantes. En outre, la Commission Nationale de Lutte Contre l’Enrichissement Illicite (CNLCEI) assure la coordination et le suivi de ce processus.
Enfin, il convient également de noter que les impacts du Mécanisme d’examen sont multiples, notamment : la réforme législative, avant et après l’examen; la coordination nationale et dialogue accru; l’opportunité pour le renforcement des capacités; le partage d’expériences et de bonnes pratiques entre les États examinés et examinateurs; le plan d’action : la hiérarchisation des besoins d’assistance technique propres à chaque pays ; et la table ronde des bailleurs de fonds et plates-formes de coordination des bailleurs de fonds.