Santé pharmaceutique : l’État gabonais snobe son industrie locale au profit des importations

Malgré une licence de production exclusive sur une vingtaine de molécules vitales, l’usine Santé pharmaceutique de Nkok reste absente des officines gabonaises. Pendant ce temps, le Gabon continue d’importer massivement des médicaments qu’il pourrait produire localement, au mépris de la souveraineté sanitaire, de l’emploi national et de la santé publique.
C’est l’histoire d’un gâchis industriel orchestré par l’inaction publique. Installée dans la Zone économique spéciale de Nkok, l’usine Santé pharmaceutique dispose d’une infrastructure moderne, d’un savoir-faire avéré, d’un portefeuille de production stratégique — et pourtant, ses produits sont invisibles dans les pharmacies gabonaises. Une anomalie d’autant plus choquante que l’entreprise détient une licence exclusive sur plus de vingt molécules, dont plusieurs essentielles à la lutte contre le paludisme, le VIH et la tuberculose.
Une souveraineté sacrifiée sur l’autel de l’indifférence
À sa création, Santé pharmaceutique détenait une exclusivité sur plus de 40 molécules, accordée par le ministère de la Santé. En 2023, ce nombre a été réduit de moitié, sans explication publique, affaiblissant de facto le potentiel de production locale. Dans un pays qui revendique haut et fort sa volonté de « transformation locale » et de « souveraineté industrielle », comment comprendre que des médicaments produits sur le sol national n’aient aucune place dans le circuit pharmaceutique ?
Pendant ce temps, le Fonds mondial continue de dépenser des milliards de dollars chaque année pour l’achat de médicaments antipaludéens, antituberculeux et antirétroviraux destinés au Gabon, alors que ces mêmes traitements pourraient être fabriqués à Nkok. Les finances publiques sont chaque année délestées de plus de 4 milliards de FCFA pour des médicaments souvent livrés en retard ou en quantité insuffisante, laissant des Centres de traitement ambulatoires (CTA) en rupture de stock. Résultat : des milliers de Gabonais malades, souvent vulnérables, exposés à une mort certaine par carence thérapeutique.
Le paradoxe d’un pays qui freine ses propres champions
Dans un pays où l’accès au médicament reste une préoccupation majeure, il est incompréhensible que l’État n’intègre pas Santé pharmaceutique dans ses politiques de santé publique. L’entreprise emploie plus d’une centaine de Gabonais, dont 55 % de femmes, contribue à l’économie locale de Ntoum et dispose de stocks disponibles à hauteur de 500 millions de FCFA. Mais plutôt que de soutenir cette industrie nationale, le gouvernement semble la reléguer au rang de spectateur, préférant continuer à importer, au prix fort.
Et pendant que le Gabon hésite, le Burkina Faso, le Congo-Brazzaville et la Centrafrique manifestent un intérêt croissant pour cette usine gabonaise. Des délégations étrangères ont d’ores et déjà visité les installations, avec pour objectif de nouer des partenariats commerciaux et institutionnels. Un comble, quand le pays hôte n’a pas encore su valoriser cette pépite industrielle.
Les ministres interpellés : il faut sortir de la passivité
Face à cette situation, les ministres Adrien Mougougou (Santé) et Lubin Ntoutoume (Industrie et Transformation locale) ne peuvent plus rester silencieux. L’absence de médicaments made in Gabon dans les pharmacies est un échec politique qui contredit directement les engagements du président Brice Clotaire Oligui Nguema en matière d’industrialisation et de justice sociale.
Il est temps que l’État organise une véritable intégration de cette structure dans les politiques de santé publique, qu’il contractualise avec elle, qu’il favorise l’achat local et qu’il garantisse l’accès de ses produits aux officines. Ce serait une avancée concrète, immédiate et salvatrice pour les malades, pour l’économie et pour la cohérence de l’action publique.
À défaut, le Gabon continuera d’être ce pays qui importe à prix d’or ce qu’il peut produire lui-même, abandonnant sa jeunesse, ses entreprises et ses malades à l’attente, à la dépendance… et parfois, à la mort.
GMT TV