Raymond Ndong Sima : «Lutter pour l’alternance et non s’entretuer»
L’attitude à adopter face à ceux qui détiennent le pouvoir au Gabon divise.Certains considèrent que la meilleure réponse qu’il faut leur donner c’est de les ignorer et de ne prendre part à aucune des consultations qu’ils organisent pour leur contester toute légitimité et leur conférer un statut d’usurpateurs. D’autres soutiennent que le refus de participer à ces consultations politiques, ne gêne que très peu ceux qui usurpent le pouvoir et ne les empêche ni de s’accaparer les droits de l’État, ni de jouir de ses privilèges pas plus qu’elle ne leur attire de réprobation consistante de la communauté internationale. Celle-ci s’accommode de leur présence et se satisfait de leur adhésion à leurs lignes économiques, politiques et morales.
Il s’agit donc de positions aux antipodes l’une de l’autre qui tiennent d’un côté de la posture politique, de l’autre d’une certaine naïveté.
Les partisans du boycott ne s’assument pas. Ils n’ont pas le courage de dire à haute voix qu’ils optent pour le statu quo. Ils caressent, sans s’en donner les moyens, l’idée d’une insurrection populaire spontanée. Ils oublient que nulle part l’histoire de l’humanité n’a vu une telle insurrection avoir raison d’un pouvoir organisé. Même lorsqu’elle s’est produite, elle a toujours été récupérée par des groupes organisés opportunistes.
Ils vantent donc, confortablement installés derrière leurs claviers ou tranquillement assis chez eux, les vertus ou les bienfaits des mouvements insurrectionnels que d’autres devraient préparer et conduire pour eux. Mais en couvrant la cour de cet appel à l’insurrection, ils se gardent d’en occuper les premières lignes. Kelly Ondo en a fait l’amère expérience. Il a attendu pendant des heures, les armes à la main, un soutien qui n’est pas venu. Il n’a eu pour seule réponse qu’un silence gêné jusqu’à son procès.
De leur côté, ceux qui appellent à éviter la chaise vide s’avancent en terrain miné. Toutes les institutions du pays, de celles qui organisent les élections à celles qui les valident avec le concours de l’ensemble des corps habillés du pays forment un bloc compact dont le caractère partisan n’est plus à démontrer. Pierre Mamboundou comparait même la Cour Constitutionnelle à la tour de Pise tant ses décisions penchaient toujours du même côté.
Naturellement ceux qui détiennent le pouvoir travaillent à les affaiblir. Ils ont d’abord choisi de les atomiser dans le but de disperser au maximum leurs voix. Ils les ont donc infiltrés et ont chargé leurs partisans d’entretenir la dissension au sein de ce groupe pour le discréditer. On vend ainsi à l’opinion publique cette idée que l’opposition n’est pas fiable, qu’elle manque de consistance et de conviction et n’agit que par cupidité et par orgueil. On donne pour preuve de ces vices l’absence d’accord sur une candidature unique susceptible de vaincre dans une élection le tenant du pouvoir.
Mais J.A Ondo Louemba l’a rappelé très justement, si l’alternance n’a pas eu lieu à la suite des différentes élections, ce n’est pas faute de victoire dans les urnes des candidats de l’opposition. C’est en raison du contrôle de l’ensemble des institutions constitutionnelles et de la fidélité des corps habillés au régime en place.
Mais alors cette mainmise étant toujours effective, a quoi sert-il d’aller aux élections et les partisans du boycott n’ont-ils pas raison ? Non, ils n’ont pas raison et l’adage dit bien : aide-toi et le ciel t’aidera.
En fait, aucune stratégie à ce jour n’a eu raison du régime en place. Depuis le retour au multipartisme en 1990, toutes ces stratégies ont été testées et, plus de trente ans plus tard, aucune d’elle n’a eu raison de ce groupe qui n’a de cesse de renforcer sa main mise sur le bien commun.
C’est ce constat qui doit inciter toutes les parties à la retenue dans leurs critiques puisque, en effet, nul n’a trouvé le moyen de faire lâcher prise aux maîtres de lieux.
C’est pourquoi la multiplication des attaques entre ceux qui disent aspirer à une alternance est complètement contre productive. Les leçons que certains veulent donner à d’autres n’ont pas lieu d’être. A ce jour, personne ne peut se prévaloir de la bonne solution, c’est-à-dire d’une solution victorieuse. Les raccourcis utilisés par les partisans du boycott et qui vont jusqu’à douter de la sincérité des engagements des autres, ne sont pas acceptables. Ils ne peuvent que détourner les forces acquises au changement, de l’objectif principal qui est de trouver le moyen d’arriver à une alternance.
Abime té.
Raymond Ndong Sima
Ancien premier ministre