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Présidentielle 2025 : le «kounabélisme», une dérive qui fragilise le débat démocratique

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À l’approche de l’élection présidentielle du 12 avril 2025, le Gabon voit resurgir un mal bien connu : le « kounabélisme », cette forme de larbinisme politique où certains citoyens, fonctionnaires et acteurs politiques se livrent à une idolâtrie excessive du pouvoir en place. Ce phénomène, ancré dans l’histoire politique gabonaise, semble s’intensifier sous la transition, menaçant le sérieux du débat électoral et les valeurs républicaines.

Quand la déférence se transforme en allégeance. Dernier épisode en date : la célébration publique et forcée de l’anniversaire du président de la Transition lors de la levée des couleurs. Ce rituel républicain, censé honorer le drapeau et l’unité nationale, s’est transformé en une scène surréaliste où des fonctionnaires, sous la houlette de leur ministre de tutelle, ont été sommés de chanter un « Joyeux anniversaire » au chef de l’État.

 « Mener ces deux événements concomitamment revient à ne pas établir de frontière entre vie publique et vie privée. Cela revient aussi à ne pas faire le distinguo entre l’institution « président de la République » et le titulaire de la fonction », souligne une analyse de notre confrères GabonReview dans sa livraison du jeudi 6 mars 2025.

Cette confusion des rôles n’est pas anodine : elle alimente un culte de la personnalité, pourtant dénoncé par les nouvelles autorités. Mais alors que le CTRI a mis en garde contre l’exploitation abusive de l’image du président, des fonctionnaires et acteurs politiques persistent à se livrer à des démonstrations d’allégeance, par opportunisme ou calcul politique.

Une instrumentalisation du pouvoir pour se positionner

Le « kounabélisme » ne s’arrête pas à ces mises en scène. Fin janvier, des individus ont entamé une grève de la faim pour « contraindre » le président de la Transition à se porter candidat. Quelques jours plus tard, un syndicaliste a même menacé de saisir la justice à cette fin, sans s’appuyer sur aucune base légale. Pendant ce temps, une prolifération d’associations de soutien « spontanées » témoigne d’une tentative manifeste de positionnement politique, rappelant tristement les méthodes du régime d’Ali Bongo Ondimba renversé le 30 août 2025. 

Au-delà des démonstrations de loyauté aveugle, cette frénésie d’adoration du pouvoir cache une autre réalité : une volonté de réécriture de l’histoire politique récente. En glorifiant le président de la Transition tout en minimisant les luttes passées contre le régime déchu, certains cherchent à se racheter une virginité politique ou à masquer leur propre complicité avec l’ancien système.

« Entre curée et odes à la gloire du chef, ce culte de la personnalité poursuit aussi une auto-absolution. Il vise à occulter la complicité des uns voire leur responsabilité dans les dérives du régime déchu », analyse un observateur politique. Ce révisionnisme sournois ne vise qu’un but : détruire toute opposition crédible et maintenir un monopole du pouvoir, quelle que soit la figure à sa tête.

Mettre fin au « kounabélisme » pour sauver le débat démocratique

Alors que le Gabon s’engage dans une période électorale cruciale, il est urgent de mettre un terme à ces pratiques d’un autre temps. En mars 2024, le CTRI dénonçait l’utilisation abusive de l’image du président de la Transition et appelait à un comportement républicain. Force est de constater que cet appel n’a pas suffi.

Il est temps d’aller plus loin pour enrayer cette dérive qui gangrène le débat démocratique. Les fonctionnaires et acteurs politiques qui perpétuent ces pratiques doivent être fermement rappelés à l’ordre, car leur rôle est de servir l’État et non de flatter le pouvoir en place pour espérer en retour une promotion ou une nomination. 

L’éducation politique doit être renforcée pour cultiver un esprit critique et recentrer le débat sur les idées et les réformes, plutôt que sur la vénération des individus. Enfin, l’utilisation de l’image présidentielle doit être strictement encadrée afin de prévenir toute récupération opportuniste et garantir une gouvernance fondée sur les principes républicains et non sur un culte de la personnalité.

Le « kounabélisme » est une gangrène qui affaiblit le sérieux du débat politique et fragilise la démocratie. En cette période de transition, le Gabon a une opportunité historique de rompre avec ces pratiques archaïques. L’avenir politique du pays ne peut se jouer sur la servilité et le culte des hommes, mais sur des idées, des réformes et une gouvernance réellement démocratique.

Henriette Lembet

Journaliste Le temps est une donnée fatale à laquelle rien ne résiste...

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