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Naufrage d’Esther Miracle : quand l’État prend l’eau mais reste à quai

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Trente morts, cent soixante-et-un passagers, un ferry plus bancal qu’un tabouret de bar, et un procès qui tangue depuis deux ans. Bienvenue au bal des responsabilités évaporées, où l’État gabonais joue les passagers clandestins d’une audience qui cherche désespérément son capitaine.

L’affaire aurait pu s’appeler Chronique d’un naufrage annoncé. Mais ce serait encore trop littéraire. Car ce 9 mars 2023, le ferry Esther Miracle, affrété par la très céleste compagnie Royal Coast Marine, a coulé avec la même discrétion qu’un hippopotame tombant dans une baignoire. Trente morts, des dizaines de rescapés, des familles en deuil… et une administration gabonaise qui, deux ans plus tard, semble toujours chercher la notice d’utilisation de ses propres institutions.

Un procès historique… ou un naufrage judiciaire ?

« Un procès historique », selon Me Martial Dibangoyi-Loundou. C’est vrai. Rares sont les occasions où l’État réussit l’exploit d’être à la fois juge, partie, coupable potentiel et… absent à l’audience. Oui, absent. Comme un ministre en fin de mission qui éteint son téléphone.

Résultat : l’audience du 26 juillet, censée faire jaillir la lumière sur ce drame, a été renvoyée au 7 août. Officiellement pour citation irrégulière des parties. Officieusement parce que personne ne sait exactement où se cache l’État. Peut-être en villégiature à Pointe-Denis, là où le navire a sombré sans que personne ne songe à déclencher le moindre dispositif de secours. Un oubli ? Une panne d’oreiller ? Un bug informatique ? À ce niveau, c’est presque de l’art conceptuel.

Quand l’État fait des bulles et les ministres nagent en eaux troubles

Heureusement, les avocats veillent. Me Anges Kevin Nzigou, en mode GPS de la responsabilité publique, a demandé à entendre deux figures emblématiques du Titanic administratif gabonais : Alain-Claude Bilie-By-Nze, alors Premier ministre, et Brice Constant Paillat, ministre des Transports de l’époque, qui avait trouvé la sortie en démissionnant dans un rare moment de lucidité politique.

Me Tony Serge Minko mi Ndong, lui, a posé la question qui tue (ou plutôt qui aurait pu sauver) : pourquoi diable l’État n’est-il pas présent, alors même que les prévenus agissaient sous son autorité ? « Qui va payer les indemnisations ? » interroge-t-il. Spoiler : probablement les contribuables, ceux-là mêmes qui n’ont jamais pris le bateau.

L’État a coulé, mais il flotte toujours en surface

Pour Me Nzigou, le naufrage est « un festival de dysfonctionnements techniques, administratifs et de secours ». Et on confirme : c’est Woodstock au pays de la non-assistance à passagers en danger. Entre la certification délivrée à un bateau manifestement à bout de souffle, et l’absence de réaction pendant six heures après le drame, la Marine marchande a fait preuve d’un zèle bureaucratique inversement proportionnel à sa compétence.

Mais comme souvent, dans ce Gabon bureaucratiquement amphibien, plus c’est grave, plus ça prend du temps. Le temps d’oublier. De classer. D’archiver. De dire « c’était avant ». Et surtout, de s’assurer que le principal accusé – l’État lui-même – puisse tranquillement vaquer à ses occupations, pendant que les familles des victimes patientent dans la cale de l’indifférence.

Esther Miracle : chronique d’une noyade institutionnelle

On dit souvent que l’État est une fiction juridique. Au Gabon, c’est aussi une fiction judiciaire. À chaque audience, on attend qu’il se présente. Mais comme le ferry, il ne viendra pas. Il reste là, à quai, bien planqué derrière un arrêté, une citation mal rédigée, ou une commission rogatoire en panne d’encre.

La prochaine audience, fixée au 7 août, promet d’être aussi décisive que les précédentes. C’est-à-dire : un nouveau chapitre du feuilleton judiciaire où l’on cherche l’État, on le devine, mais on ne le voit jamais. Un peu comme la bouée de secours qui n’est jamais arrivée ce 9 mars 2023.

Karl Makemba

Engagé et passionné, Karl Makemba met son expertise et sa plume au service d’une information rigoureuse et indépendante. Fidèle à la mission de Gabon Media Time, il contribue à éclairer l’actualité gabonaise avec une analyse approfondie et un regard critique. "La liberté d'expression est la pierre angulaire de toute société libre." – Kofi Annan

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