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Les bouches pleines de gros mots

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Des mots en rafale, dira-t-on. Et ça ne s’arrête pas. C’est presque pavlovien. Et donc sans authenticité, sans le sérieux qu’ils prétendent annoncer. Plan d’accélération de la transformation, Plan de relance économique, triptyque d’un Premier ministre, triptyque de tel président. Plan stratégique Gabon émergent ; le Gabon industriel, le Gabon vert, le Gabon des services ; l’armée en or ; un jeune un emploi ; le Gabon ma terre ; l’avenir en confiance ; la prospérité partagée ! Que n’a-t-on pas déjà entendu ? Taux de croissance à 3% ; création d’emplois ; rigueur budgétaire ; réduction du train de vie de l’Etat ; concertation politique ; élections apaisées !!! la Baie des rois ! On s’est tous fait une raison : la présidence de la République possède une machine qui crache des mots pour dissimuler ses maux ; ensuite, il faut juste les ramasser et les poster à Gabon 1ère, l’exclusivité oblige, qui les balance dans les oreilles de la horde de zombies que sont devenus les Gabonais. 

Une hémorragie de mots. Les mots ne servent plus à dire la réalité, parce que la machine de la présidence ne connaît pas le réel ; elle sait seulement cracher des mots, les instrumentaliser et faire sa novlangue. C’est au PDG et dans des cabinets de communication qu’on paramètre la machine. Les zombies aiment ça, profanateurs assumés de la République ; ils répéteront ces mots à longueur de journée, à travers les meetings, dans les conseils de famille, autour d’une bière… au nom du Chef de l’Etat, Président de la République, chef suprême des armées, président de la magistrature suprême, le Distingué Camarade. Lui aussi est encerclé par des mots. Mais c’est toujours en son nom, le rituel est bien connu, les automatismes bien assimilés. A la fin du mois et par divers mécanismes et divers temps, on reçoit les per diem, les prébendes et tout le tralala des récompenses à deux balles… Tout ce circuit des mots, c’est un investissement avec des sociétés écrans et du personnel politique devenu des images-écrans, dirait Joseph Tonda. 

On ne croit plus à ces mots, on n’y a même jamais cru. On n’en veut plus, on n’en a même jamais voulu. C’est une arnaque ! Pourtant là est l’erreur. Les mots ne trahissent personne, ce sont les personnes qui trahissent les mots et qui dissimulent leurs maux. 

« One Forest Summit », dans un pays francophone. L’attrait de l’anglais, qui n’a pas cédé ? Ecologie, protection de l’environnement, biodiversité, crédit-carbone. Ce sont les nouveaux mots, les mots de la nouvelle économie coloniale. Voyons donc ! Dans ce pays d’Afrique centrale, il pleut constamment, il y a des fleuves, du soleil, des forêts, etc. Le fleuve Ogooué coule, nuit et jour, fertilisant les terres qui accouchent l’okoumé, le kévazingo, le bélinga, et d’autres essences encore. Mais, paradoxe des paradoxes, le Gabon ne sait pas produire suffisamment d’électricité pour sa population. Et même face à la pénurie de l’électricité en provenance des barrages électriques, on n’est pas capable de produire et stocker de l’énergie dont ont besoin les familles gabonaises qui, à défaut d’un climatiseur, prennent malgré eux des ventilateurs toujours prompts à recycler l’air chaud. On étouffe. Dans la modernité de l’économie coloniale, on pourra vendre des crédits-carbone aux pays occidentaux. C’est, à y regarder de près, un ticket du droit de polluer qu’on délivrerait à ces pays toujours plus pollueurs. C’est la règle du « pollueur-payeur » qui déculpabilise la conscience du voyou : il a payé pour l’expiation de sa faute. Et comme parmi les victimes, il y a des innocents menacés de perdre tout droit sur leurs terres coutumières… On étouffe !  Mais parmi les victimes, il y a surtout ceux qui croient avoir découvert une nouvelle mine : le crédit-carbone. Eh oui, parce qu’il n’y a pas que l’uranium, l’or, le manganèse et le pétrole ! Les ingénieurs euro-américains savent découvrir et ils ont découvert cette nouvelle source de richesse permettant de limiter le réchauffement climatique et de soutenir le modèle de vie occidentale basé sur la surconsommation de l’énergie, elle-même fille de la surproduction de biens et services qui nourrissent le néolibéralisme. C’est ainsi. Avant, on vendait bois, uranium et manganèse à la France, demain on vendra du crédit-carbone. Ce sont eux qui découvrent les précieuses mines, les précieux métaux, leurs usages, etc. Nous n’avons pas ce génie. Mais ce n’est pas parce que nous n’avons pas ce génie que nous devrions systématiquement accepter la logique de ce commerce.

Pourquoi ? Parce que les mots cachent leurs maux. L’écologie est-elle un nouvel humanisme ou un nouvel impérialisme ? Les Etats qui ne savent pas se déterminer à partir de leurs propres besoins et des perspectives qu’ils donnent à l’histoire se coucheront toujours devant la puissance supposée des autres Nations. Avec notre démographie, il n’est pas extraordinaire de créer à tout va des parcs nationaux mais on oublie, avec une facilité déconcertante, que la civilisation bantoue et son mode de vie n’auraient jamais grillé la couche d’ozone. On me trouverait rétrograde avec ce rappel, mais heureusement au cœur même de l’Occident, il y a des gens qui luttent pour la démondialisation et proposent de vivre autrement, en naturaliste par exemple. Car, à supposer que la terre vieillit comme les hommes, que certaines cellules qui meurent en accélèrent la dégénérescence, que cette dégénérescence est immanente à la vie même de la terre, nos dioxydes de carbone ne serviraient pas à grand-chose. Mais ne soyons pas climato-sceptiques, laissons prospérer même les absurdités scientifiques. Après tout, la terre a été plate pendant des millions d’années ! 

Quand les éléphants tuent impunément des hommes, l’écologie et le discours environnementaliste ne sont plus seulement le règne de l’état sauvage, mais aussi le signe d’un impérialisme nouveau. Cela signifie que la vie d’un homme en forêt équatoriale n’est rien devant la vie d’un homme en Europe. Car l’écologie est d’abord la protection du modèle de la société occidentale. L’écologie est la nouvelle religion du progrès. Or, nous avons fait du progrès la divinité de notre temps. Il n’a pas de bornes, le progrès ! On ne sait pas jusqu’où il va nous mener, mais nous en voyons déjà des conséquences. L’industrialisation excessive des modèles de production, la mécanisation et la consommation qui tirent leur légitimité morale du progrès ont mis en danger la vie. Et les capacités financières des pollueurs-payeurs n’enrayera pas le problème. D’ailleurs, la Chine et les USA s’en fichent, c’est la France, entre autres, qui croit jouer sur la corde sensible d’un humanisme – qui ne cache pas son impérialisme – pour régénérer son leadership dans le monde et condamner les pays comme le Gabon à l’inertie politique et au sous-développement socio-économique. 

Les mots cachent leurs maux. On peut aussi dire qu’ils cachent leurs maux avec des mots. Ceci est vrai pour l’écologie, mais aussi pour la démocratie et son arsenal technique du vote. Combien de papiers, d’urnes, de choses et d’autres, faut-il pour rendre une élection crédible ? La complexification technique du vote est une roublardise quand on a un corps électoral de 600 000 personnes, dont l’effectivité se réduit à 300 000 votants. On ferait une croix sur un tableau en faveur de tel ou tel candidat, de manière transparente et sans secret, que le jour même, la centralisation des résultats nous donnerait le président élu. Mais comme il y a une technologie du secret, et donc de la fraude, qui nous coûte effectivement cher, la loi de l’accoutumance technologique nous fait perdre le sens de l’efficacité avec des techniques qu’on utilise dans une classe de 6e. Personne ne se demande même pourquoi le vote est secret alors que tout le monde demande la transparence. C’est pourquoi tous les dialogues politiques sont faux, ils sont monologiques. 

La technologie du vote est occidentale, avec son arsenal d’urnes, de logistiques et de bulletins de vote, tout comme la technologie des barres de fer électrique est occidentale pour chasser les éléphants loin de l’habitat humain. Des ONG locales proposent des alternatives, comme Brain Forest, mais l’impérialisme de la technique et ses marchands est tel que seules les voies/voix occidentales comptent. Seul le marché de l’argent compte, car comme la démocratie fabrique des marchands et des acheteurs, l’écologie fabrique aussi son marché ; et il faut qu’il soit vite rentable ! C’est cela que ne verront pas les Gabonais qui vont se trémousser sur les scènes du One Forest Summit, comme ceux qui ont été à la Concertation politique n’ont pas vu la ruse technique de la démocratie électorale, se bornant à effleurer la complexité du corpus juridique. Dans les bouches, que de gros mots, qui esquivent le réel, qui nient le réel, qui a peur de la réalité et qui créent un monde parallèle, fait de belles conjugaisons, des phrases avec sujet, verbe et complément. Et on s’applaudit de la justesse de cette grammaire, loin des hommes arrachés à la vie par des éléphants qu’on surprotège. Loin aussi des enfants qui meurent du paludisme. Loin de l’électeur qui s’abandonne au pessimisme parce que la technologie du vote n’en assure guère la transparence.     

Prof Noël Bertrand Boundzanga

Ecrivain – Membre de la société civile – Maître de conférences, Enseignant-Chercheur à l’UOB.

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