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Le Gabon au féminin: une émancipation à pas de caméléon

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Vendredi 8 mars 2013, il y a exactement huit ans, je publiais ici-même, dans les colonnes du quotidien L’Union, une tribune au titre provocateur, que certains me reprochèrent : « Où sont les femmes gabonaises ? ». C’est que, saisissant l’occasion de la célébration ce jour-là de la journée internationale des femmes, j’avais opté de m’interroger, à haute voix, sur le constat que je faisais à l’époque, à propos de « la faiblesse des résultats du combat féministe contre « la domination masculine » encore prégnante dans notre société, et tout particulièrement dans  les différentes sphères de la décision politique ».  Qu’en est-il aujourd’hui ?

La célébration de l’édition 2021, dont le thème porte sur « Le leadership féminin : pour un futur égalitaire dans le monde de la Covid-19 », me donne l’occasion d’y revenir, précisément de jeter un regard à la fois rétrospectif et prospectif sur la question centrale de la place des femmes dans l’espace public au Gabon, et d’esquisser les enjeux épistémiques y relatifs. Il importe à cet effet d’aller bien au-delà des controverses sous-jacentes à la « magistrature du chiffre ». Car le recours aux statistiques dans ce domaine donne souvent lieu à des interprétations contrastées. 

D’aucuns soulignent, non sans raison, l’importance de la place acquise au fil du temps par les femmes au sein de l’élite dirigeante, en se référant surtout à leur présence remarquable à la tête de plusieurs institutions constitutionnelles prestigieuses, depuis le cas pionnier de l’élection par ses pairs, en 1991, de Marie-Madeleine Mborantsuo à la présidence de la Cour constitutionnelle, à la récente nomination, le 16 juillet 2020,  de  Rose Christiane Ossouka Raponda aux fonctions de Premier ministre, Chef du Gouvernement. On avait entretemps enregistré la désignation de Rose Francine Rogombé comme président de la République par intérim (10 juin – 16 octobre 2009), en sa qualité de président du Sénat (17 février 2009 – 27 février 2015) ; la nomination de Georgette Koko à la présidence du Conseil Economique, Social et Environnemental (10 mars 2016 – 21 août 2017), ainsi que l’élection (27 février 2015) et la réélection (1er mars 2021) de Lucie Milebou-Aubusson épouse Mboussou à la présidence du Sénat.  A ce jour, seule l’Assemblée nationale est restée en marge de cette « vague » féminine. 

Le fait politique majeur en la matière, depuis ma tribune de 2013, est le basculement de la Primature, le 16 juillet 2020, jusqu’alors une citadelle masculine longtemps imprenable : Léon Mébiame Mba (16 avril 1975 – 3 mai 1990), Casimir Oyé Mba (3 mai 1990 – 2 novembre 1994), Paulin Obame Nguéma (2 novembre 1994 – 23 janvier 1999), Jean-François Ntoutoume Emane (23 janvier 1999 – 20 janvier 2006), Jean Eyeghe Ndong (20 janvier 2006 – 17 juillet 2009), Paul Biyoghe Mba (17 juillet 2009 – 27 février 2012), Raymond Ndong Sima (27 février 2012 – 25 janvier 2014), Daniel Ona Ondo (25 janvier 2014 – 29 septembre 2016), Emmanuel Issozè Ngondet (29 septembre 2016 – 12 janvier 2019) et Julien Nkoghe Békale (12 janvier 2019 – 16 juillet 2020). 

D’autres considèrent que, malgré la prestigieuse lignée de ces éminentes femmes de pouvoir, dont le leadership fait incontestablement référence, l’influence masculine au sein même des institutions qu’elles dirigent demeurent une réalité statistique évidente ; à l’exception notable de la Cour constitutionnelle dont la répartition des neufs Juges en termes de genre a progressivement évoluée depuis la composition initiale de 1991, où l’on ne comptait que deux femmes, jusqu’à l’équilibre relatif au sein de celle issue du dernier renouvellement du 6 septembre 2019, avec quatre femmes et cinq hommes. Pour le Gouvernement – à ne s’en tenir qu’à la composition actuelle –, en plus du Premier ministre, 1/3 de femmes y siègent. La disproportion devient plus accentuée lorsqu’on se réfère au niveau de responsabilités : plus on évolue vers le sommet de la pyramide, moins il y a de femmes (Cf. Tableau). Il en est de même au sein des administrations publiques et privées. 

Il apparaît en outre que l’accès des femmes aux fonctions nominatives est relativement plus ouvert que leur élection dans les Assemblées politiques, en l’occurrence à l’Assemblée nationale et au Sénat. On peut ainsi noter que, parmi les sénateurs récemment élus, on compte seulement 20% de femmes ; en revanche, elles sont près de 47% parmi les 15 sénateurs nommés par le Président de la République, le 26 février 2021. 

A s’interroger sur les raisons, on peut en relever deux principales. D’abord, comme partout ailleurs dans le monde, le métier politique a été pensé dès ses origines et se pratique jusqu’à ce jour selon les rapports de forces « montrant le pouvoir comme masculin ». Ensuite, il est à considérer les conséquences politiques d’une certaine conception patriarcale de la famille, dans le sillage de ce qu’il est convenu de désigner, avec Ramatoulaye Diagne (2009, p.107), « la longévité du modèle aristotélicien » dans les rapports sociaux de sexe. Cette conception, bien que relevant de l’ordre du « social-privé », n’est pas ici sans conséquence dans l’ordre du « public-politique », en cela qu’elle constitue, pour la femme, un facteur handicapant dans le choix du métier politique, et particulièrement celui de la terre d’élection. Au Gabon, sa candidature à une fonction élective est souvent considérée comme culturellement illégitime du fait que la femme ne saurait « commander » dans la circonscription politique de sa famille d’origine, encore moins dans celle où elle est allée en mariage. Il en résulte que la quasi-totalité des femmes élues dans les Assemblées politiques gabonaises le sont dans la circonscription politique d’origine, où leur « autorité » est socialement tolérée. Signe de la résistance culturelle aux importantes évolutions de la loi, enregistrées particulièrement sous le Président Ali Bongo Ondimba, afin d’accompagner et/ou faire accélérer le processus d’émancipation – au sens classique de la conquête de « l’égalité, la liberté, les droits civils et politiques par les femmes » (Yves Charles Zarka).

Ainsi en est-il de l’inscription dans la Constitution, suite à la révision de janvier 2018, d’une disposition relative à « l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux ainsi qu’aux responsabilités politiques et professionnelles » ; même si l’on peut constater que cela n’a guère été d’un grand apport lors des élections législatives d’octobre 2018, la représentativité des femmes à l’Assemblée nationale ayant légèrement diminué par rapport à la législature précédente (14%) alors que, depuis 1990, la tendance était continument croissante. En cause ici, l’absence d’une réglementation contraignante ou tout au moins incitative, pour renforcer le dispositif législatif de 2016 relatif aux quotas des jeunes (20%) et des femmes (30%) aux responsabilités politiques et dans les fonctions administratives.

  A cet effet, mon hypothèse principale est qu’une certaine prudence est requise chez les décideurs dans le rôle qu’ils confèrent au droit et à l’action politique dans l’anticipation et/ou l’accompagnement de l’évolution de la société gabonaise en la matière, dans une période relativement longue, récemment baptisée « Décennie de la femme gabonaise (2015 – 2025) ». En refusant, à juste raison, de jouer systématiquement le droit et la politique contre la société, la définition et la mise en œuvre des politiques publiques en faveur de l’égalité de genre doit composer avec une réalité où prévalent encore les ressorts essentiels du « système viriacal », des pesanteurs de la domination masculine. C’est cette évolution patiente que je qualifie ici d’émancipation à pas de caméléon, en référence, hors contexte, à ce que Amadou Hampâté Ba (1994) disait à propos de « la sagesse du caméléon », reposant sur une triple exigence : la prise en compte de l’avis des tiers, la recherche de la meilleure compréhension possible de la réalité et la prudence dans la démarche pour y parvenir. Signe de la grande complexité de l’entreprise consistant à intégrer « la dimension de genre dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de justice ».

Flavien ENONGOUE

Maître-Assistant de philosophie politique 

à l’Université Omar Bongo (UOB)

(Tribune publiée dans le quotidien L’Union)

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