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Jeux de hasard : appel d’offre évité, expertise locale ignorée, l’État s’enlise dans une polémique évitable

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Parti d’une volonté affichée de moraliser un secteur miné par l’opacité, le ministère de l’Intérieur dirigé par Hermann Immongault est désormais au centre d’une controverse grandissante. En cause : l’attribution sans appel d’offres de la centralisation des flux financiers des jeux et paris en ligne à l’entreprise eTECH SAS. Une décision dénoncée comme injuste et opaque par les agrégateurs locaux qui crient à l’éviction brutale d’acteurs nationaux historiques.

Censée apporter de la transparence, la réforme initiée par l’arrêté n°001551/MIS du 23 avril 2025 soulève désormais une série de questions embarrassantes. Pourquoi avoir contourné l’appel d’offres pour un marché aussi stratégique ? Pourquoi avoir exclu les fintechs locales telles que MINERVE TECH, DIGITECH AFRICA ou PVIT, pourtant actives depuis plus de dix ans sans soutien de l’État ? « Ce texte revient à tuer tout un écosystème numérique local, alors que l’expertise est là », s’indigne un agrégateur.

Un secteur à réguler, mais pas au prix de l’exclusion

Lors de la 2ème plénière de la Commission supérieure des jeux de hasard tenue le 21 mai 2025 à Libreville, le ministre de l’Intérieur Hermann Immongault s’est voulu ferme. « Après une année d’investigations, nous avons constaté des pratiques contraires à l’orthodoxie. Le chiffre d’affaires réel est inconnu, des opérateurs utilisent des moyens de paiement interdits comme la cryptomonnaie. Il était urgent de mettre de l’ordre », a-t-il déclaré.

Dès lors, la Commission a recommandé de centraliser les flux financiers à travers un système d’intégration unique. C’est dans ce cadre qu’a été désignée l’entreprise eTECH SAS, « société de droit gabonais issue d’un partenariat public-privé avec l’entreprise canadienne ESTI MEDIA INC », a précisé Hermann Immongault. L’État y serait co-actionnaire, avec « 95% des postes occupés par des Gabonais », argumente le ministre pour justifier cette collaboration.

eTECH, un choix stratégique ou une menace pour la souveraineté numérique ?

Sauf que cette justification ne convainc pas les professionnels du secteur. Pour eux, l’État aurait dû consulter l’écosystème national, ouvrir un appel d’offres, et instaurer un cadre clair de certification. « C’est une mesure brutale qui prive les agrégateurs locaux de plus de 80% de leur revenu », souligne un représentant de MINERVE TECH. Ces entreprises rappellent qu’elles ont été créées avec des capitaux propres, qu’elles génèrent de l’emploi local et qu’elles sont prêtes à se soumettre à un audit ou à un cahier des charges rigoureux.

Au-delà de l’aspect économique, les protestataires craignent une concentration excessive du pouvoir technique entre les mains d’un seul opérateur. Ils appellent à une régulation renforcée, mais ouverte, inspirée par l’exemple du Cameroun qui, après une tentative similaire, a opté pour une certification pluraliste des agrégateurs par une autorité indépendante.

Un silence gouvernemental qui entretient la défiance

La décision d’éviter un appel d’offres reste au cœur de la controverse. Dans un secteur où la Côte d’Ivoire génère plus de 1 000 milliards de FCFA par an, le manque de transparence sur l’attribution du marché gabonais semble paradoxal, alors même que le gouvernement affiche des ambitions de bonne gouvernance. Pire encore, aucune communication claire n’a été faite en amont auprès des opérateurs ni du public.


« L’État a le droit de réguler, mais pas de supprimer arbitrairement des acteurs légitimes », soutient une note collective adressée au ministère par les agrégateurs. Ceux-ci proposent une alternative : suspendre l’arrêté, engager une concertation multipartite et créer un cadre de certification conforme aux standards internationaux. En attendant, l’État est sommé de clarifier ses choix. Car à force de vouloir moraliser dans la précipitation, il risque de sacrifier la souveraineté numérique et les emplois gabonais sur l’autel d’une réforme mal engagée.

Henriette Lembet

Journaliste Le temps est une donnée fatale à laquelle rien ne résiste...

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