Jean Valentin Leyama à Me Francis Nkea : «créer, c’est déjà adhérer»

Au cœur d’un débat juridique à haute intensité politique, l’interprétation de l’article 82 alinéa 3 du Code électoral oppose deux figures de la vie publique gabonaise : Me Francis Nkea Nzigue, agrégé en droit et avocat, et Jean Valentin Leyama, économiste et homme politique. Faut-il distinguer l’acte de création d’un parti de celui d’y adhérer ? Analyse d’un affrontement doctrinal sur la compréhension du texte et de l’esprit de la loi.
Invité de Gabon Media Time le 14 juin 2025, Me Francis Nkea Nzigue a tenté une lecture audacieuse du Code électoral en vigueur. « Créer un parti n’est pas constitutif de transhumance. C’est plutôt adhérer qui en est une », a soutenu l’ancien garde des Sceaux et avocat au barreau du Gabon. Pour lui, l’article 82 alinéa 3 vise clairement à sanctionner le ralliement à un parti politique existant, pas l’initiative de création d’un nouveau mouvement, ce qu’il rattache à la liberté d’association garantie par la Constitution.
Une position que récuse frontalement Jean Valentin Leyama, ancien secrétaire exécutif du parti RÉAGIR. Dans un commentaire sur le verbatim publié sur la page Facebook de Gabon Media Time, il démonte méthodiquement ce raisonnement en rappelant les dispositions combinées de l’article 82 alinéa 3 et de la loi n°24/96 du 6 juin 1996, modifiée par la loi n°016/2011 du 14 février 2012 relative aux partis politiques. « La création d’un parti est encadrée juridiquement, et les fondateurs en sont nécessairement les premiers adhérents », affirme-t-il.
Un fondement juridique précis : création = adhésion
L’argument de Jean Valentin Leyama repose sur un point de droit fondamental : la procédure de création d’un parti politique, telle que définie à l’article 7 de la loi de 1996, impose un ensemble de pièces à fournir par les membres fondateurs – procès-verbal constitutif, copies certifiées des cartes nationales d’identité, extraits de casiers judiciaires. « Ce sont là des exigences qui ne peuvent concerner que des adhérents au parti en formation », insiste-t-il, en affirmant que vouloir dissocier création et adhésion relève d’un contournement de l’esprit de la loi.
Or, l’article 82 alinéa 3 du Code électoral est sans ambiguïté : « Tout élu en qualité d’indépendant (…) ne peut, pendant la durée du mandat, adhérer à un parti politique légalement reconnu. » Si l’acte de création induit nécessairement l’adhésion – ce que confirme le droit positif gabonais –, alors tout élu indépendant initiant un parti en cours de mandat s’expose à une annulation de son élection.
Une ligne rouge constitutionnelle : les limites de la liberté d’association
Francis Nkea invoque un droit fondamental : la liberté d’association. Pourtant, Jean Valentin Leyama lui oppose que cette liberté n’est pas absolue, surtout dans le contexte d’un mandat électif. « Le Code électoral, en son article 2, s’applique aux députés, et ce cadre prévaut sur une liberté d’association exercée de manière incompatible avec l’éthique électorale », fait-il valoir. En d’autres termes, ce n’est pas tant la liberté d’association qui est remise en cause, mais bien son exercice opportuniste au détriment de la loyauté électorale.
Ce débat interroge la cohérence du droit électoral avec les principes de moralisation de la vie politique gabonaise, alors même que le législateur de 2025 a voulu en finir avec la transhumance politique, en verrouillant juridiquement les allers-retours partisans.
Vers une clarification par la jurisprudence ?
Le différend n’est pas propres aux deux hommes, plusieurs autres personnalités politiques, analystes, juristes et observateurs de vie publique : il pourrait devenir un cas d’école devant la Cour constitutionnelle. À moins que le ministère de l’Intérieur, en charge de l’enregistrement des partis politiques, ne tranche en amont en rejetant tout dossier de création porté par un élu indépendant en fonction.
Quoi qu’il en soit, comme le résume Leyama, « la création d’un parti, en droit gabonais, est un acte d’adhésion. Et pour un élu indépendant, cela suffit à annuler le mandat. » Reste à savoir si les institutions valideront cette lecture rigoureuse ou préféreront la souplesse politique. Une décision qui en dira long sur la volonté réelle de moraliser la vie publique gabonaise
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