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Gabon : pourquoi la loi électorale ne doit pas être modifiée pour convenance présidentielle !

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Alors que des voix s’élèvent pour appeler à la création d’un parti présidentiel autour de Brice Clotaire Oligui Nguema, élu le 12 avril 2025 avec plus de 94 % des suffrages, un débat juridique de fond s’invite dans l’arène politique. Car au-delà des considérations stratégiques, c’est bien l’État de droit qui est en jeu. Et la tentation de modifier l’article 82 de la loi électorale pour permettre au Président de la République d’adhérer ou de créer un parti durant son mandat constituerait un dangereux précédent.

Modifier la loi électorale ? Un risque de rupture du pacte républicain. L’article 82, alinéa 3, de la loi organique n°001/2025 du 19 janvier 2025 portant Code électoral est clair : « Tout élu en qualité d’indépendant (…) ne peut, pendant la durée du mandat, adhérer à un parti politique légalement reconnu sous peine d’annulation de son élection ». Une disposition qui vise à éviter toute récupération institutionnelle des fonctions exécutives à des fins partisanes. Si la volonté de modification de ce texte se matérialise, le gouvernement prendrait le risque de faire passer la République gabonaise d’un régime de droit à un régime d’exception, où la norme plie au gré des intérêts du moment.

Il est crucial de rappeler que la loi est générale, impersonnelle et coercitive. Elle s’applique à tous, quel que soit le statut, le rang ou la fonction. En changer les règles, en cours de partie, reviendrait à rompre le pacte de confiance qui unit le président à la nation. Plus grave encore : cela enverrait un message désastreux à l’opinion publique et aux partenaires internationaux, celui d’une République encore incapable de se soumettre aux principes qu’elle proclame.

Le temps politique et juridique ne doivent pas être confondus

Une alternative plus vertueuse s’offre pourtant au gouvernement : maintenir la loi en l’état, permettre la tenue des élections législatives, et constituer une majorité présidentielle non pas par décret, mais par un pacte de confiance avec les candidats élus. Une fois cette étape franchie, et les institutions stabilisées, la nouvelle Assemblée nationale, issue du suffrage universel, pourrait alors, en toute souveraineté, revoir certaines dispositions du Code électoral. Ainsi, le président, libéré du carcan juridique de l’article 82, pourrait légitimement adhérer au parti de son choix. Sans forcer le droit. Sans forcer le destin.

C’est d’ailleurs ainsi que fonctionnent les grandes démocraties. En Belgique, par exemple, lorsque le Roi Baudouin refusa en 1990 de signer la loi sur l’avortement, le Conseil des ministres invoqua l’article 93 de la Constitution pour constater son impossibilité de régner, permettant ainsi au gouvernement de promulguer la loi. Le symbole ? L’équilibre des pouvoirs fut préservé. Le droit respecté. Et la démocratie consolidée.

Appel aux “Tonton Macoute” de la transition

Dans ce moment de transition, certains proches du chef de l’État, ces « Tonton Macoute » politiques qu’il consulte discrètement avant toute décision sensible, doivent faire preuve de lucidité. Ce qui est en jeu n’est pas seulement l’agenda politique du président, mais la stabilité et la crédibilité de la Vème République naissante. L’urgence n’est pas de construire un appareil politique à la gloire d’un homme, mais d’installer durablement l’idée que la République est plus forte que ceux qui la gouvernent.

À vouloir changer la loi pour des raisons circonstancielles, on court le risque de banaliser l’exception. À respecter la règle, on construit l’histoire ! 

Harold Leckat

Juriste contentieux, Fondateur et Directeur de publication. "La chute n'est pas un échec. L'échec est de rester là où l'on est tombé ", Socrates

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