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Gabon : Oligui Nguema relance la décentralisation, une promesse de rupture sous haute surveillance

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Près de trois décennies après son inscription dans les textes, la décentralisation gabonaise semble enfin amorcer son virage décisif. À l’initiative du président de la République, Brice Clotaire Oligui Nguema, la première réunion de la Commission nationale de la décentralisation s’est tenue le 17 juin 2025. Une étape politique majeure dans la marche vers une gouvernance territoriale plus équilibrée, mais dont les obstacles structurels et les pesanteurs historiques pourraient vite ralentir l’élan.

Une volonté présidentielle affirmée, un défi technique immense. C’est un chantier colossal que le président de la République entend mener à terme : transférer, pour la première fois de manière effective, des compétences de l’État central vers les collectivités locales. À travers cette réforme, il s’agit de rapprocher les services publics des citoyens, dans un pays où les déséquilibres territoriaux ont longtemps amplifié les inégalités. Santé, éducation, assainissement, voirie… autant de domaines désormais visés par cette dynamique de transfert.

La réunion présidée par le vice-président de la République a permis d’examiner douze mesures concrètes, préparées de longue date par le Comité technique de la décentralisation. Parmi elles, deux questions majeures se détachent : le transfert des ressources humaines – condition sine qua non de l’efficacité des nouveaux exécutifs locaux – et la création d’un Fonds de péréquation, censé corriger les inégalités entre communes riches et pauvres. Encore faudra-t-il garantir la pérennité, la transparence et la traçabilité de ces ressources.

Un tournant institutionnel encore fragile

Le Gabon n’en est pas à sa première tentative en matière de décentralisation. En 1996 déjà, la loi organique sur la décentralisation promettait un nouveau souffle aux collectivités. Près de trente ans plus tard, la mise en œuvre est encore balbutiante. Et pour cause : manque de cadre technique, faible capacité d’ingénierie territoriale, opacité des circuits budgétaires et centralisme administratif quasi-constitutionnalisé.

Dans ce contexte, l’initiative actuelle se distingue par son ambition politique assumée. Le président Oligui Nguema entend incarner une gouvernance « de proximité, d’efficacité et de responsabilité ». Encore faut-il que les collectivités disposent des leviers nécessaires. Car sans moyens humains qualifiés, sans outils financiers maîtrisés, la décentralisation pourrait vite se résumer à un transfert d’incompétences.

La vigilance citoyenne comme garde-fou

Au-delà de la volonté politique, la réussite de cette réforme dépendra du sérieux des suivis techniques et de la transparence dans l’allocation des moyens. Le comité de suivi, désormais placé sous l’autorité du vice-président, devra s’assurer que cette réforme structurelle ne soit pas détournée à des fins clientélistes locales ou utilisée comme levier de reconcentration du pouvoir à d’autres échelles.

L’enjeu est aussi démocratique. Donner plus de poids aux élus locaux, c’est redonner du sens à la citoyenneté dans les territoires. Mais c’est aussi, à terme, poser la question de l’autonomie fiscale, de la redevabilité des exécutifs locaux, et de la maturité de nos institutions déconcentrées.

Le symbole d’un État qui écoute enfin ses territoires

En définitive, cette première réunion de la CND est un signal fort envoyé aux populations longtemps marginalisées des circuits de décisions. Elle résonne comme un acte de reconnaissance territoriale. Mais elle n’en demeure pas moins un point de départ. Le cap est donné, la volonté est affichée, mais l’épreuve du réel reste devant nous. Reste à savoir si l’appareil d’État, habitué à fonctionner en vase clos, saura se défaire de ses réflexes centralisateurs pour embrasser pleinement l’esprit de la réforme.

Karl Makemba

Engagé et passionné, Karl Makemba met son expertise et sa plume au service d’une information rigoureuse et indépendante. Fidèle à la mission de Gabon Media Time, il contribue à éclairer l’actualité gabonaise avec une analyse approfondie et un regard critique. "La liberté d'expression est la pierre angulaire de toute société libre." – Kofi Annan

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