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Gabon : le gouvernement a-t-il dissimulé plus de 691 milliards de dette au 31 décembre 2024 ?

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Dans le rapport sur l’exécution des lois de finances 2024, dont Gabon Media Time a obtenu copie, le gendarme des finances publiques pointe de graves incohérences dans les chiffres officiels relatifs à la dette publique. Selon la Cour, qui s’appuie sur les données issues de la Balance générale des comptes, l’encours global de la dette s’élèverait à 7 824,36 milliards de FCFA au 31 décembre 2024, alors que le Compte général de l’Etat (CGE) n’en reconnaît que 7 133,16 milliards. Une différence abyssale de 691,2 milliards de FCFA tout de même. Ce trou comptable soulève une question brûlante. Le gouvernement aurait-il volontairement minoré une partie de la dette publique pour masquer l’ampleur du déséquilibre budgétaire du pays ?

La Cour des comptes observe non seulement une persistance chronique des déficits de trésorerie, mais aussi une explosion des restes à payer (RAP), qui culminent à 1 005,61 milliards de FCFA. Malgré ces signaux d’alerte répétés, les autorités financières semblent s’être enfermées dans une politique de maquillage des comptes, au détriment de la transparence budgétaire. Si les chiffres de la Cour reposent sur la balance générale des comptes de l’État, ceux du CGE, publiés par la Direction générale de l’économie et de la politique fiscale (DGEPF), paraissent artificiellement ajustés pour présenter une situation « soutenable ». Ce double discours comptable, révélateur d’un culte de la dissimulation hérité de l’ancien système, contribue à la fragilisation de la crédibilité du pays auprès des bailleurs de fonds et compromet les efforts de redressement amorcés par le ministre d’État Henri-Claude Oyima.

Une dissimulation préméditée ?

La confusion atteint son comble lorsque l’on écoute les déclarations publiques de l’ancien ministre du Budget et des Comptes publics, Charles M’ba. Le 18 avril 2025, sur le plateau de TV5 Monde, il affirmait sans détour que « le stock de la dette du Gabon s’élevait à 7 208 milliards de FCFA au 31 décembre 2024 », allant jusqu’à prétendre que la dette avait « baissé de 260 milliards ». Or, cette affirmation est frontalement contredite par le rapport de la Cour des comptes, qui établit une hausse nette de 734 milliards de FCFA sur la même période. Entre 7 824 milliards selon la Cour, 7 133 milliards selon la DGEF et 7 208 milliards selon l’ancien ministre des Comptes publics, le gouvernement a entretenu une cacophonie financière symptomatique d’une gestion budgétaire opaque.

Ce brouillage, s’il est avéré, pourrait alimenter la thèse d’une volonté de maintenir artificiellement le ratio dette/PIB en dessous du seuil de 70 % imposé par la CEMAC, afin de préserver les apparences de conformité. Le rapport souligne d’ailleurs une baisse du ratio à 56,3 % du PIB, alors qu’une réévaluation réaliste l’aurait probablement rapproché dangereusement du seuil de convergence communautaire. L’écart de 691 milliards ne relève donc pas d’une simple erreur comptable. Il traduit une manipulation politique des chiffres pour sauver la façade d’un équilibre budgétaire illusoire.

De la nécessité de publier les rapports 

Au-delà de la querelle des chiffres, c’est toute la culture de la dissimulation de l’ancien régime qui refait surface. Pendant des années, la politique budgétaire du pays a reposé sur un double langage. Un discours de rigueur et de stabilité destiné aux partenaires internationaux qui cache une réalité de désordre financier. Le rapport de la Cour des comptes, pour la première fois, met noir sur blanc ce que beaucoup soupçonnaient. L’existence de mécanismes d’occultation des engagements de l’État. En l’absence de transparence, perdure dans l’opinion l’idée selon laquelle, les comptes publics servent toujours d’outil politique, voire de paravent à des pratiques douteuses, notamment dans le financement de projets dits « prioritaires » dont les retombées restent peu satisfaisantes pour les populations. 


Cette opacité structurelle a eu des conséquences lourdes puisqu’elle a miné la confiance des investisseurs, retardé les décaissements des bailleurs et creusé le fossé entre le discours officiel et la réalité vécue par les gabonais. La Cour, dans ses recommandations, invite l’administration à expliquer la persistance du déficit et la multiplication des restes à payer. Face à ce rapport qui épingle la gestion financière du pays, la Vème République doit désormais rompre avec les pratiques du passé. Il doit s’agir d’instituer un véritable contrat de transparence entre l’État et les populations. Cela suppose une publication systématique des données sur la dette, une publication des audits, une publication systématique des rapports d’exécution budgétaires, et un contrôle parlementaire renforcé. Les 691 milliards « disparus » dans la nature ne sont pas qu’une anomalie statistique, ils symbolisent l’ombre d’un système où le mensonge budgétaire a longtemps remplacé la rigueur comptable.

Karl Makemba

Engagé et passionné, Karl Makemba met son expertise et sa plume au service d’une information rigoureuse et indépendante. Fidèle à la mission de Gabon Media Time, il contribue à éclairer l’actualité gabonaise avec une analyse approfondie et un regard critique. "La liberté d'expression est la pierre angulaire de toute société libre." – Kofi Annan

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