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Gabon : l’affaire Opiangah, ou les dérives inquiétantes d’une justice instrumentalisée

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Depuis plus de sept mois, l’affaire visant l’ancien ministre des Mines Hervé Patrick Opiangah s’est muée en symbole d’une justice à double vitesse, embourbée dans des procédures troubles, au mépris du droit et des principes élémentaires d’équité.

Ce qui aurait dû être un simple dossier classé, faute d’éléments tangibles, s’est transformé en une saga judiciaire aux relents politiques. Dès les premières heures, le traitement réservé à l’affaire Opiangah a soulevé des interrogations. L’accusation initiale, portant sur des faits de mœurs, a été écartée par la principale concernée qui, non seulement a réfuté les allégations, mais a également porté plainte en diffamation contre ceux qui ont propagé ces accusations. Un revirement qui, en principe, aurait dû conduire à l’arrêt pur et simple des poursuites.

Une procédure juridiquement bancale, politiquement suspecte

Pourtant, la machine judiciaire s’est emballée. En l’absence de plainte initiale, une procédure rétroactive a été bricolée avec une plainte déposée plusieurs jours après le début de l’instruction, par une tierce personne agissant sans mandat pour le compte d’une adulte autonome. À cela s’ajoutent des vices de forme, des irrégularités manifestes sur les dates et une absence totale de charges. Malgré tout, la Chambre d’accusation a rejeté la demande de non-lieu formulée par les avocats de l’homme d’affaires, au prétexte que ce dernier ne s’était pas présenté devant le juge d’instruction, Flore Nathalie Bouenetse.

Une telle motivation semble contraire à l’article 163 du Code de procédure pénale gabonais, qui dispose qu’en l’absence de charges suffisantes, un non-lieu doit être prononcé. Selon l’Union pour la Démocratie et l’Intégration Sociale (UDIS), il s’agirait d’une « machination politico-judiciaire » visant à neutraliser un acteur politique gênant. Ce sentiment est partagé par plusieurs voix au sein du Syndicat national des magistrats (SYNAMAG), qui évoquent une justice « sous influences », prête à tordre le droit pour servir des intérêts supérieurs.

La justice gabonaise face à l’épreuve de l’égalité républicaine

Ce traitement sélectif contraste fortement avec la célérité et la discrétion observées dans le dossier Sylvia Bongo – Noureddin Bongo Valentin. Libérés et autorisés à quitter le territoire national, ces derniers attendent leur procès en liberté, quand Opiangah demeure ciblé, malgré un dossier vide. Une inégalité de traitement qui interroge la promesse d’une justice impartiale au cœur du serment du président de la République.

Le chef de l’État Brice Clotaire Oligui Nguema s’est pourtant engagé, lors de son investiture, à bâtir une République fondée sur la justice, l’unité et le respect des institutions. Comment comprendre, alors, que sous son autorité, des magistrats refusent d’appliquer des textes clairs, au profit d’un acharnement dont les motivations ne semblent plus strictement judiciaires ?

Un procès politique sous les habits du droit

Les avocats de l’ancien ministre dénoncent une stratégie d’asphyxie politique. Depuis novembre 2024, les descentes policières et les perquisitions ciblées ont paralysé ses activités économiques, entraînant des centaines de pertes d’emploi. À défaut de preuves, c’est donc la pression administrative et judiciaire qui sert de levier, révélant une volonté manifeste de briser un homme, son image et son influence.

Dans ce contexte, la saisine de la Commission africaine des droits de l’homme apparaît comme un dernier recours pour faire valoir un droit fondamental bafoué : celui à un procès équitable. Car derrière la façade judiciaire, c’est bien un homme politique que l’on cherche à effacer, au mépris des règles de droit et de la présomption d’innocence.

La justice gabonaise au pied du mur

L’affaire Opiangah ne concerne plus un seul individu : elle incarne une crise systémique, celle d’un appareil judiciaire devenu l’ombre de lui-même. Chaque jour de silence, chaque manquement à l’État de droit, alimente la défiance populaire et fragilise la crédibilité des institutions.

Si l’on veut que la Ve République se distingue des errements du passé, le président de la République devra faire un choix : couvrir une justice aux ordres ou impulser une réforme de fond qui restaure l’indépendance judiciaire et réhabilite la parole.

Henriette Lembet

Journaliste Le temps est une donnée fatale à laquelle rien ne résiste...

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