Gabon : la censure insidieuse qui mine la liberté de la presse

La censure au Gabon n’est pas toujours frontale. Si la loi n°019/2016 sur la communication, en son article 11, interdit explicitement toute restriction en dehors des cas prévus par la loi, la réalité montre que la liberté de la presse est souvent muselée par des pratiques plus sournoises. Convocations infondées, coups de fil intimidants pour “expliquer” au journaliste comment écrire son article, pressions administratives ou économiques… Autant de manœuvres qui, sans porter le nom officiel de censure, en produisent les effets les plus délétères.
Une liberté proclamée mais fragilisée dans les faits. L’article 11 du Code de la communication est clair : « Toute censure en matière de communication, en dehors des cas prévus par la loi, constitue une violation des droits de l’homme. » Cet article, en lien avec l’article 2, définit la censure comme toute entrave à la liberté de communication écrite, audiovisuelle, numérique ou cinématographique. La même loi consacre le pluralisme numérique comme pilier de la démocratie moderne. Mais au quotidien, cette garantie légale se heurte à une pratique étouffante : celle d’une censure indirecte, presque invisible, qui infiltre les salles de rédaction.
Les convocations injustifiées de journalistes, souvent sans base légale solide, sont devenues un outil de dissuasion. De même, les coups de fil intempestifs de personnalités, parfois totalement étrangères au métier de l’information, visant à orienter la ligne éditoriale ou à dicter les mots à employer, constituent une atteinte grave au principe de l’indépendance journalistique. Derrière l’apparente courtoisie de ces “conseils”, c’est en réalité une pression directe qui fragilise l’autonomie de la presse.
Des pressions administratives et économiques récurrentes
À ces pratiques s’ajoutent des pressions administratives – blocage de subventions, retards dans l’octroi d’autorisations – et économiques, via des contrats publicitaires conditionnés à un traitement favorable de l’actualité. Autant de leviers utilisés pour contraindre indirectement les médias à s’autocensurer. Cette “censure molle” n’apparaît pas dans les textes, mais elle agit comme un poison lent qui mine la liberté de ton et appauvrit le débat démocratique.
En période électorale, ces pratiques s’intensifient : coupures ciblées d’Internet, restrictions déguisées de l’accès à certaines sources officielles, surveillance numérique des acteurs critiques du pouvoir. Le Gabon a beau occuper en 2025 la 41e place sur 180 pays au classement de Reporters sans frontières (RSF), ce positionnement flatteur masque encore un quotidien où l’information reste sous tension permanente.
Une liberté sous condition, loin de l’esprit de la loi
Le paradoxe est là : le pays dispose d’un cadre juridique qui protège la liberté de communication, mais son application est fragilisée par des pratiques informelles qui en contredisent l’esprit. L’article 11 devrait être un bouclier, il reste trop souvent lettre morte. Les journalistes sont ainsi contraints de composer entre leur devoir d’informer et les multiples pressions qui visent à orienter leur plume.
Le véritable défi, désormais, n’est pas d’écrire de nouvelles lois, mais de garantir l’effectivité de celles qui existent. Cela passe par la fin des intimidations, la formation des acteurs publics au respect du droit de la presse, et la mise en place de recours accessibles pour protéger les journalistes contre les abus.
Car une presse libre ne se mesure pas uniquement à l’absence de censure explicite, mais aussi à la capacité de ses acteurs à travailler sans craindre d’être rappelés à l’ordre par un coup de fil intempestif ou une convocation arbitraire. Au Gabon, c’est cette bataille subtile, mais essentielle, qui reste à gagner pour transformer les garanties juridiques en une liberté de la presse réelle et vivante.
GMT TV