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Gabon : discussion autour de la création d’un parti présidentiel, les précisions de Camille Lendeme

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Alors que le débat enfle sur la possibilité pour le président Brice Clotaire Oligui Nguema de créer ou rejoindre un parti politique sans risquer l’annulation de son élection, Camille Lendeme, juriste gabonais, livre une analyse juridique rigoureuse du Code électoral et de la Constitution. Dans ce texte structuré et documenté, il démontre que l’article 82 s’applique bien à toutes les catégories d’élections, y compris la présidentielle, tout en soulignant l’inutilité politique et juridique d’une telle initiative dans le cadre du régime présidentiel gabonais. Une réflexion lucide sur les rapports entre droit, pouvoir et stabilité institutionnelle. Lecture.

Sur le débat qui secoue l’opinion publique nationale dans lequel le Président court clairement, aux termes de l’article 82 du Code électoral gabonais, le risque de perdre son mandat, j’adopterais une méthode d’analyse pratique.

SUR L’APPLICATION DU CODE ELECTORAL A TOUTES LES CATEGORIES D’ELECTIONS

Article 2 : La présente loi organique s’applique à l’élection du Président de la République, à l’élection des députés, à l’élection des sénateurs, à l’élection des conseillers départementaux et municipaux, à l’élection des membres des bureaux des conseils locaux et au référendum.

SUR L’APPLICATION DE L’ALINEA 2 QUERELLE DE L’ARTICLE 82 DU CODE ELECTORAL

1ère remarque : Les dispositions querellées apparaissent dans un titre du Code électoral consacré à la déclaration de candidature. Donc de toutes les candidatures. A l’intérieur de ce titre, lorsqu’il y a des spécificités à chaque catégories d’élections, le texte le signale. Or, la disposition querellée ne distingue pas de catégorie. Elle concerne donc toutes les élections.

2ème remarque : L’alinéa qui le précède et qui a fait bouger certains partis politiques est relatif au délai de démission quatre (4) mois au moins avant le scrutin pour être investi par un autre parti politique ou se présenter comme candidat indépendant ou figurer sur une liste de candidats indépendants. Cet article est général et concerne toutes les catégories d’élections. Ainsi, le membre d’un parti politique légalement reconnu ne peut le quitter pour se présenter indépendant à la fonction présidentielle sans respecter ce délai légal.

SUR LA SYMBIOSE ENTRE LES PRINCIPES CONSTITUTIONNELS ET LA LOI

La liberté d’aller et venir (article 17 de la Constitution) est garantie à tous, dans les conditions prévues par la loi. On s’arrête devant la levée des couleurs. On change d’itinéraire lorsque la Police interdit un accès. On se gare au passage d’un convoi présidentiel.

La liberté d’association (article 21 de la Constitution) est garantie à tous, dans les conditions prévues par la loi. La liberté de se réunir (article 22 de la Constitution) est garantie à tous, dans les conditions prévues par la loi.

Si l’on doit éviter que la loi ordinaire ne vienne contredire ou affaiblir les principes fondamentaux définis par la Constitution, les principes constitutionnels sont soumis à des restrictions d’ordre public afin de concilier les libertés individuelles avec les exigences de l’intérêt général que la loi est justement chargée de protéger. Il est donc nécessaire de prendre en compte des considérations d’intérêt général en vue d’atténuer, par la Loi, la portée de certaines règles constitutionnelles, y compris des droits ou libertés.

3ème remarque : L’alinéa querellé est également d’application générale à toutes les catégories d’élections. La formule latine « ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus » signifie, en effet, qu’on ne peut distinguer ce que la loi ne distingue pas.

SUR LES CAUSES DE LA CESSATION DU MANDAT DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

Les causes de la cessation du mandat du Président sont disséminées dans la Constitution, des causes ordinaires (fin normale du mandat) aux causes extraordinaires (empêchement, fautes). Mais dès lors que la Constitution elle-même reconnait à la loi la possibilité de l’assouplir comme on vient de l’indiquer, le Code électoral qui définit les conditions générales de candidature à toutes les élections a logiquement introduit un équilibre à respecter entre la posture partisane ou individuelle présentée lors de l’élection et celle à conserver pendant la durée du mandat. Il s’agit d’une position de principe pour tous les candidats dès lors que cette prescription figure dans le titre VI consacré à la déclaration de candidature du livre I sur les dispositions communes, sans donc distinction de catégorie d’élection.

SUR LA POSSIBILITE DE CREER UN PARTI SANS EN ETRE MEMBRE

Est-il possible de créer un parti sans pouvoir y adhérer ? A priori, on crée un Parti pour en tirer un bénéfice politique. Théoriquement, le Président pourrait créer un Parti. Mais en pratique, comment le fondateur ou les fondateurs pourraient-ils ne pas en être « adhérents » ? Ils seront de facto adhérents au Parti qu’il ont créé en étant les premiers membres adhérents.

SUR L’INTERET REEL POUR LE PRESIDENT DE PRENDRE LE RISQUE DE CREER UN PARTI

Pour prendre le risque d’entrer dans une zone trouble et inutilement risquée, avec des contestations prévisibles qui rompraient d’avec sa posture rassembleuse, il faudrait pour le Président actuel élu avec 94,85% des suffrages pratiquement sans opposition et donc avec un soutien populaire incontestable, avoir un problème existentiel à résoudre. Lequel serait-il à titre personnel ?

Structurer dans l’immédiat un appareil politique pour avoir une majorité à l’assemblée nationale ?

Il n’en a pas besoin dans le régime présidentiel renforcé actuellement en vigueur au Gabon où le Président est le Chef du Gouvernement, mais n’est pas responsable devant le Parlement. Ne pouvant faire l’objet de motion de censure, ni de vote de défiance comme dans un système parlementaire classique, il jouit d’une stabilité imperturbable.

L’exemple de création d’un parti politique après l’élection présidentielle en France sort du contexte national dès lors que la France est un régime parlementaire dont MACRON a fait l’amère expérience de ne pas retrouver de majorité après la dissolution. Tel ne sera jamais le cas du Gabon, en régime présidentiel.

En définitive, ce combat qui ne semble pas être le sien, ne pourrait-t-il même pas, a fortiori, être mené dans son dos ?

Henriette Lembet

Journaliste Le temps est une donnée fatale à laquelle rien ne résiste...

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