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Failles statistiques de l’État : quand le Gabon réforme sans chiffres fiables

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Les débats autour de la Taxe forfaitaire d’habitation ont mis en lumière une réalité rarement assumée par le pouvoir : l’État gabonais ne maîtrise pas pleinement les données fondamentales de son économie domestique. Entre absence de statistiques fiables, poids de l’informel et administration fragmentée, la réforme fiscale avance à vue, révélant un défi structurel majeur pour la Vᵉ République.

En reconnaissant publiquement que l’administration ignore la masse monétaire réellement en circulation, la typologie exacte des logements ou encore la capacité contributive des ménages, le ministre de la Réforme de l’État, François Ndong Obiang, a posé un diagnostic brutal mais éclairant. Au-delà de la polémique fiscale, ses propos ouvrent un débat plus profond : comment gouverner efficacement un État dont les outils statistiques sont lacunaires ?

Un État sans boussole statistique

Le constat est sans détour. L’appareil public gabonais ne dispose pas d’un système statistique suffisamment robuste pour capter la réalité économique quotidienne des citoyens. PIB et PNB restent des agrégats théoriques, souvent mal compris, parfois mal actualisés, et rarement reliés à l’économie réelle des ménages urbains et périurbains.

Dans les quartiers, l’administration ignore souvent le nombre exact de logements, leur occupation réelle, leur usage mixte (habitation, commerce, location informelle), ou encore le niveau de revenus des occupants. Cette méconnaissance structurelle rend toute fiscalité progressive difficilement applicable sans risque d’injustice ou d’erreurs massives.

L’informel, angle mort persistant de l’action publique

Cette faiblesse statistique est aggravée par le poids écrasant de l’économie informelle, qui échappe largement aux radars de l’État. Activités non déclarées, revenus fluctuants, logements non cadastrés, absence de données fiables sur les flux financiers : l’administration fiscale évolue dans un environnement fragmenté.

Dans ce contexte, toute tentative de taxation fondée sur des calculs complexes — surface habitable, valeur locative réelle, revenus déclarés — se heurte à une réalité simple : l’État ne sait pas mesurer avec précision ce qu’il veut taxer. La taxe forfaitaire apparaît alors comme une réponse pragmatique, mais aussi comme l’aveu d’une incapacité structurelle.

La taxe forfaitaire, symptôme plus que solution

Présentée comme un outil de simplicité et de justice minimale, la Taxe forfaitaire d’habitation est avant tout le produit de cette faiblesse statistique. En optant pour un montant fixe, l’État renonce provisoirement à une fiscalité fine, faute de données fiables.

Ce choix, assumé par les autorités, traduit une gouvernance par approximation maîtrisée : faire avec des instruments imparfaits plutôt que renoncer à toute mobilisation de ressources internes. Mais ce pragmatisme comporte un risque politique majeur, celui de faire peser un effort uniforme sur des ménages aux réalités très contrastées.

Réformer l’État sans chiffres : une contradiction durable ?

La sortie médiatique de François Ndong Obiang pose une question centrale pour la Vᵉ République : la réforme de l’État peut-elle réussir sans une refondation préalable de l’appareil statistique national ? Gouverner, c’est mesurer. Or, sans données fiables, la planification budgétaire, la fiscalité équitable et l’évaluation des politiques publiques restent fragiles.

À moyen terme, l’enjeu dépasse largement la TFH. Il s’agit de reconstruire une capacité de connaissance de la société gabonaise : recensement des logements, fiabilisation des données économiques, intégration progressive de l’informel, interconnexion des administrations. Sans cela, chaque réforme restera exposée à la contestation et au soupçon.

Une transparence salutaire, mais exigeante

En assumant publiquement ces failles, le gouvernement a fait un pas rare vers la transparence. Mais cette lucidité crée une obligation politique nouvelle : celle de corriger ces insuffisances. Car reconnaître les limites de l’État sans y remédier durablement reviendrait à institutionnaliser l’improvisation.

La Taxe forfaitaire d’habitation n’est donc pas seulement un débat fiscal. Elle agit comme un révélateur. Celui d’un État en transition, conscient de ses fragilités, mais encore sommé de prouver que l’effort demandé aujourd’hui produira demain un État mieux organisé, mieux informé et plus juste.

Henriette Lembet

Journaliste Le temps est une donnée fatale à laquelle rien ne résiste...

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