Cameroun : Paul Biya remanie l’armée, pour prévenir le syndrome Bongo ?

À l’approche de l’élection présidentielle du 12 octobre 2025, le président camerounais Paul Biya, 92 ans, a signé une série de décrets bouleversant la haute hiérarchie militaire. Derrière cette manœuvre stratégique, une volonté claire se dessine : verrouiller l’appareil sécuritaire pour prévenir tout scénario de type gabonais, à l’image du coup de force ayant renversé Ali Bongo Ondimba après l’annonce de sa réélection contestée en août 2023.
Une armée reconfigurée pour une élection sous tension. Infanterie, marine, armée de l’air, état-major, présidence : aucun pan du dispositif militaire n’a échappé à la vague de nominations. Huit généraux ont été promus, dont le très stratégique coordinateur du Bataillon d’Intervention Rapide (BIR), fer de lance du pouvoir, connu pour sa loyauté au régime. Un nouveau conseiller militaire a également été placé au cœur du Palais d’Etoudi, signal d’une reprise en main discrète mais déterminée.
Cette réorganisation intervient seulement 48 heures après l’annonce par Paul Biya de sa candidature pour un huitième mandat. Une décision qui suscite de plus en plus d’incompréhension dans l’opinion, notamment parmi une jeunesse frustrée par l’absence d’alternance après plus de 42 ans de règne.
Le spectre du Gabon et l’arme de la loyauté
« Le coup d’État au Gabon a laissé des traces à Yaoundé. Biya a vu ce que l’armée peut faire quand elle décide de tourner la page », analyse Anthony Antem, politologue au think tank Nkafu Policy Institute. Pour cet expert, la priorité du régime camerounais est de « neutraliser toute velléité de fronde interne, y compris dans les casernes ». Le parallèle avec la chute éclair d’Ali Bongo est assumé dans certains cercles diplomatiques, où l’on évoque même une « doctrine post-Libreville » en cours de déploiement dans les vieux régimes africains.
Car si le Cameroun n’a pas encore été frappé par un coup d’État, il reste traversé par des foyers d’instabilité, notamment dans les régions anglophones et le septentrion confronté à la menace jihadiste. L’armée y est à la fois un acteur sécuritaire et un garant politique. Pour Célestin Delanga, analyste à l’ISS, « cette série de nominations est un acte de gouvernance autoritaire classique : Biya consolide ses bases à défaut de convaincre ».
Un président vieillissant mais lucide sur les rapports de force
Si le gouvernement assure que Paul Biya est en pleine possession de ses moyens, ses absences prolongées, son âge avancé et le mutisme de son clan interrogent sur la réalité du pouvoir. Pourtant, ce remaniement démontre que le maître de Yaoundé n’a rien perdu de son instinct politique. À défaut de rajeunir le système, il le blinde. Comme pour rappeler que dans cette présidentielle où il joue sa survie politique, il reste celui qui nomme, commande… et prévoit.
Dans un continent marqué par la fragilité des transitions et la montée des aspirations démocratiques, la manœuvre camerounaise souligne une vérité nue : face au vent du changement, certains préfèrent renforcer les murs plutôt qu’ouvrir les fenêtres.
GMT TV