Alain Claude Bilie-By-Nze : «Trêve de paroles, des actes»
Dans ces moments où la Nation s’interroge, se recueille et pleure ses enfants, la décence commande qu’il ne soit laissé aucune place à la polémique ni aux débats stériles. Nos pensées vont par conséquent aux familles endeuillées, aux parents meurtris, à toutes celles et tous ceux qui vivent l’angoisse insoutenable de l’attente ou l’épreuve irréversible de la perte. Leur douleur impose respect, silence, et solidarité nationale.
De fait, notre propos n’est ni polémique ni partisan. Il est d’interroger, avec gravité et responsabilité, l’efficacité des services de l’État dans les circonstances actuelles. Cette exigence de lucidité n’est pas abstraite, elle est issue de l’expérience. Car l’une des principales leçons que je tire de l’exercice du pouvoir tient de ce que le soutien aveugle est ce qu’il y a de plus dangereux dans la gestion de l’État, tant il empêche toute lucidité, affaiblit l’action publique et finit toujours par desservir ceux qu’il prétend protéger.
Pour en venir donc au cœur de notre sujet, il convient de relever qu’au-delà des affaires qui, par le passé, ont défrayé la chronique sous la présidence d’Ali Bongo Ondimba, force est de constater que de nouveaux faits, d’une extrême gravité, ont récemment choqué l’opinion, nourrissant une légitime inquiétude et un sentiment de vulnérabilité au sein de la population gabonaise.
C’est à la lumière de cette exigence de vérité, de responsabilité et de compassion que s’inscrit la présente réflexion sur les signalements d’enlèvements et de disparitions, notamment d’enfants, qui se multiplient dans notre pays.
En effet, avec tous ces drames, la même question brutale revient : comment un pays dirigé par des militaires, arrivés au pouvoir au nom de la rupture et du rétablissement de l’autorité, peut-il donner le sentiment d’être autant en proie au crime?
Un petit rappel, non exhaustif, des affaires qui ont choqué l’opinion ces dernières années:
· Disparitions d’enfants et communication officielle floue :
en 2024, Africanews rapporte une affaire de “disparition” d’élèves liée à une sortie sur une plage de Libreville, avec rumeurs amplifiées par le silence initial, puis sortie du procureur indiquant que trois corps d’élèves du CES d’Akébé auraient été repêchés et qu’aucune trace de violence n’aurait été constatée sur ces dépouilles.
· Enlèvement d’un nourrisson à Libreville (Beau-Séjour) :
L’Union rapporte l’enlèvement de Richesse Bibana Ango (1 an et 9 mois) à Beau-Séjour (Libreville), plainte déposée contre X, et climat d’angoisse.
· Tentative de kidnapping d’un nourrisson à Franceville :
Gabon Media Time indique que trois jeunes ont été placés en détention pour une tentative de kidnapping (faits datés du 5 novembre 2025).
· Affaire d’enlèvement avec soupçons au sein d’unités de sécurité
Gabonreview relate l’enlèvement (présumé) d’un homme d’affaires chinois fin septembre 2025 et, dans un autre article, la révocation d’un responsable du groupement de sécurité rapprochée, sur fond d’allégations de kidnapping et de rançon.
· Disparition de la petite Beckhya à Awendjé : cas signalé et relayé en ligne, suscitant une vive émotion au sein de la population.
· Disparition d’un adolescent à Nzeng-Ayong : GabonReview évoque la disparition d’un garçon de 13 ans (décembre 2025).
· Info241.com rapporte que le corps d’un garçon de 13 ans a été retrouvé et que des suspects ont été interpellés (selon leur article).
Des drames qui finissent parfois par l’irréparable.
Une interrogation subsiste cependant : les deux derniers faits rapportés par la presse, relatifs à la disparition d’un adolescent de 13 ans puis à la découverte du corps d’un garçon du même âge, renvoient-ils à une seule et même affaire ? Cette incertitude souligne la nécessité d’une information publique claire et consolidée.
À ces événements s’ajoutent des épisodes où la confusion, les rumeurs et l’absence de communication claire de la part des autorités ont nourri la psychose, au point que la parole judiciaire a dû intervenir pour tenter de recadrer des informations qui enflammaient le pays.
A ce stade, le problème n’est plus seulement criminel, il devient politique et institutionnel. Car un pouvoir qui se présente comme “l’ordre” est jugé sur la sécurité réelle des populations. Pas la sécurité des cortèges ni celle des palais, mais la sécurité des familles, des mères, des enfants, des quartiers.
Responsabilité présidentielle et Etat de droit
Dans ce cadre, la déclaration du chef de l’Exécutif évoquant l’existence de « présumés coupables » appelle une mise au point de principe.
Une telle qualification, utilisée au plus haut niveau de l’État, ne correspond à aucun concept juridique reconnu et entre en conflit direct avec le principe constitutionnel de la présomption d’innocence, pilier de l’état de droit. Lorsqu’elle émane du chef de l’exécutif, cette approximation lexicale n’est pas anodine : elle engage l’autorité de l’État, pèse sur l’opinion publique et crée une pression implicite sur l’autorité judiciaire, dont l’indépendance suppose précisément que la culpabilité ne soit ni suggérée ni anticipée par le pouvoir politique.
Dans un cadre juridique rigoureux, les personnes interpellées sont des suspects ou des mis en cause, jusqu’à ce qu’une juridiction indépendante établisse définitivement les responsabilités. Le respect de cette exigence n’est ni un détail sémantique ni une faiblesse de l’autorité. Il constitue au contraire une condition essentielle de la crédibilité de la justice, de la protection des droits fondamentaux et de la confiance que les citoyens peuvent accorder à la parole de l’État.
Un pouvoir qui se réclame de la restauration de l’ordre se doit d’être exemplaire dans le respect des principes qu’il prétend défendre.
Risque de justice populaire
Il convient également de rappeler, avec gravité, que la précipitation dans la désignation des coupables expose la société à un autre danger : celui de la justice populaire.
L’histoire récente, au Gabon comme ailleurs, montre que des emballements collectifs, nourris par l’émotion, la rumeur ou des affirmations prématurées, ont parfois conduit à des violences irréversibles, faisant des victimes parmi des innocents.
Attendre la vérité judiciaire n’est donc ni une posture attentiste ni un signe de faiblesse de l’État. C’est une exigence de responsabilité.
La justice ne protège pas seulement la société contre le crime, elle protège aussi les citoyens contre l’arbitraire, l’erreur et la vengeance. En ce sens, seule une procédure rigoureuse, indépendante et menée jusqu’à son terme permet d’éviter que la douleur légitime des familles et l’émotion collective ne se transforment en injustices supplémentaires.
La rupture proclamée ne suffit pas, il faut des résultats mesurables
La rupture ne doit pas se limiter aux slogans. Elle doit trouver son fondement et sa justification dans la capacité à prévenir, à enquêter, à arrêter puis à juger. Quand les disparitions se banalisent, ce n’est pas seulement un échec des patrouilles. C’est surtout un échec du renseignement de proximité, de la police judiciaire, de la coordination, du suivi des plaintes, de la protection des témoins, et de la chaîne pénale.
Le silence institutionnel fabrique la rumeur et la rumeur fabrique la peur
Dans ce type d’affaires, une journée sans information crédible est un boulevard ouvert à toutes les hypothèses. L’expérience récente l’a montré : quand l’État tarde à parler, d’autres parlent à sa place.
Or la peur n’attend pas la vérité judiciaire. Elle s’installe, elle paralyse, elle pousse à la méfiance généralisée, parfois à des réactions dangereuses.
Quand la sécurité elle-même est soupçonnée, la confiance s’effondre
Le plus destructeur, dans la société gabonaise aujourd’hui, ce n’est pas seulement le crime. C’est l’idée que le crime peut prospérer avec des protections. Les récits de certains médias sur une affaire d’enlèvement impliquant des éléments du dispositif sécuritaire, même s’ils doivent être traités avec prudence et laissés à l’enquête, disent une chose : la confiance est fragile.
Et sans confiance, la population ne coopère plus, les témoins se taisent, les familles se sentent seules et l’impunité prospère.
Un pouvoir militaire jugé sur un contrat simple : protéger, et rendre des comptes
Les militaires au pouvoir sont arrivés avec un argument : “nous savons rétablir l’ordre”. Très bien ! Alors qu’ils le prouvent par une doctrine claire :
· Une réponse policière rapide,
· Une communication publique responsable,
· Des enquêtes visibles (sans spectacle),
· Des sanctions quand il y a défaillance, d’où qu’elle vienne.
Ce qu’il faut exiger, maintenant
1. Un dispositif national “alerte disparition” (procédure unique, immédiate, sans lourdeur).
2. Une cellule dédiée PJ/parquet sur les disparitions et enlèvements (statistiques publiques, suivi des plaintes, points réguliers).
3. Protection des témoins et des familles (sinon tout le monde se tait).
4. Création d’un parquet spécialisé dans la répression des crimes dits rituels.
5. Tolérance zéro sur les complicités : si des agents sont impliqués, sanctions exemplaires et transparence sur la chaîne de responsabilité.
6. Résultats publiés : nombre de plaintes, enquêtes ouvertes, interpellations, renvois devant le juge, condamnations.
7. Une implication plus affirmée des acteurs politiques, des confessions religieuses et des associations de défense de droits humains.
Le Gabon n’a pas besoin de discours martiaux de plus. Il a besoin d’un État qui protège, qui informe, et qui juge.
Parce qu’un pays où les enfants disparaissent est un pays où l’avenir est pris en otage.
Alain-Claude Bilie-By-Nze
Ancien premier ministre
Président du parti politique Ensemble pour le Gabon








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