Derniers articlesJUSTICE

Affaire Young Team : 4 000 milliards évaporés, un procès qui révèle l’anatomie d’un pillage d’État

Ecouter l'article

Alors que la session criminelle spéciale se poursuit au Palais de justice de Libreville, le pays découvre, stupéfait, l’étendue d’un système de prédation qui, entre 2018 et 2023, aurait permis à une poignée d’individus de détourner plus de 4 000 milliards de francs CFA. Un gouffre financier sans précédent, révélateur d’un État livré à lui-même, où la maladie d’Ali Bongo servait de paravent à une kleptocratie décomplexée.

Depuis le 10 novembre 2025, date d’ouverture de la session criminelle spéciale, les audiences se succèdent et les révélations s’enchaînent. Après la condamnation à 20 ans de réclusion criminelle de Sylvia Bongo et de son fils Noureddin, assortie de lourdes amendes et d’un mandat d’arrêt international, la justice examine désormais les responsabilités de leurs coaccusés de la Young Team.

À la barre, face aux questions incisives du président Mexent Essia Assoumou, du procureur général Eddy Minang et des avocats de l’État, un scénario se dessine : celui d’un État sans garde-fous, où les flux financiers circulaient comme dans une organisation mafieuse plus que dans une République.

Les accusés décrivent, parfois malgré eux, une mécanique simple : des comptes publics transformés en cagnottes privées, des institutions contournées, des intermédiaires payés en liquide, des acquisitions immobilières à l’étranger et des transferts opaques organisés avec une audace qui témoigne moins de génie financier que de l’assurance de l’impunité totale.

Le résultat est vertigineux : plus de 4 000 milliards de francs CFA auraient été siphonnés, selon les premières estimations évoquées à l’audience.

2018-2023 : Résorption de l’État et explosion des prédations

Les révélations mettent en lumière une période charnière : l’AVC d’Ali Bongo Ondimba en octobre 2018 et son retrait progressif des affaires. Ce vide au sommet a été immédiatement exploité par un cercle rapproché, dopé par l’ambition, l’avidité et la certitude que personne ne viendrait jamais leur demander des comptes.

Dans ce contexte, l’orthodoxie financière a été purement et simplement dissoute. Les règles, procédures, contre-pouvoirs, audits, visas budgétaires : tout a été contourné, tordu, neutralisé. Les détournements massifs et le blanchiment de capitaux n’étaient plus des dérapages : ils étaient devenus la règle, un véritable mode de gouvernance parallèle et structuré.

Cette Young Team-là, loin de son image de « jeunes modernisateurs », s’imposait en réalité comme une entreprise de prédation systémique. Un État dans l’État, sans mandat, sans visage réel, mais avec un appétit sans limite.

Un procès qui doit marquer un avant et un après

L’audience doit se poursuivre, mais au-delà du verdict, ce procès expose crûment une vérité que les Gabonais savaient intuitivement sans jamais en mesurer l’ampleur : le pays a été pillé méthodiquement, scientifiquement, froidement.

Cette affaire dépasse donc la simple dimension pénale : elle pose la question du modèle de gouvernance du Gabon, des garde-fous institutionnels, de la transparence budgétaire, et surtout du contrôle citoyen sur l’action publique.

Car une chose est certaine : sans réforme profonde, sans refondation de l’orthodoxie financière, sans responsabilisation de chaque maillon de la chaîne, les prédateurs d’hier pourraient facilement être remplacés par ceux de demain.

Après la sidération, la reconstruction ?

Ce procès doit être plus qu’un moment de catharsis collective. Il doit être un tournant. Une rupture. Un point zéro. La justice est en train d’exposer le passé ; il appartient désormais à la Transition et aux institutions de garantir qu’un tel pillage d’État ne puisse plus jamais se reproduire.

Le peuple gabonais, lui, observe, écoute et attend. Car après avoir été volé pendant cinq ans, et sans doute bien plus, il réclame désormais des comptes et des garanties pour l’avenir.

Morel Mondjo Mouega

Titulaire d'une Licence en droit, l'écriture et la lecture sont une passion que je mets au quotidien au profit des rédactions de Gabon Media Time depuis son lancement le 4 juillet 2016 et de GMTme depuis septembre 2019. Rédacteur en chef

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

GMT TV

Bouton retour en haut de la page