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Télesphore Ondo: «si la dépénalisation n’est pas synonyme de légalisation, elle signifie néanmoins autorisation de faire»

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L’adoption, dans l’urgence et sans véritable débat, dans la nuit du 23 juin 2020, par une poignée de 48 députés, 24 contre et 25 abstentions sur 143 et, le 29 juin 2020, par 59 sénateurs, 17 contre 4 abstentions sur 102, de la loi n°/2020 portant modification des dispositions de la loi n°042/2018 du 05 juillet 2019 portant Code pénal en République gabonaise a suscité moultes réactions tant au niveau national que sur le plan international.

Pour les uns, par l’adoption de cette loi qui dépénalise l’homosexualité par la suppression de l’alinéa 5 de l’article 402 de la loi modifiée, le Gabon s’arrime au concert des nations ; alors que pour d’autres, le Gabon a perdu son âme. Au-delà des passions sur une question extrêmement sensible, cette communication vise à contribuer à ce débat en cours en apportant quelques éclairages sur les plans juridique et socio-politique, notamment sur 3 points : 

1-Les motifs de la pénalisation de l’homosexualité et sa constitutionnalité 

Rappelons que, de 1960 au 04 juillet 2019, le Gabon n’a jamais légiféré sur l’homosexualité. Cette « ignorance juridique », pour reprendre la formule d’Ali Akbar Onanga Y’Obegue (L’Union du 29 juin 2020), était due au fait que le débat sur les relations entre personnes de même sexe ne se posait pas. Il était totalement marginal. Mais, la donne change à la fin des années 1990 et surtout au début du 21ème siècle. En effet, sous l’effet de la mondialisation et poussée par les lobbies notamment Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres (LGBT), la première tentative de réforme du code pénal sur les libertés sexuelles date de 1995. Les responsables des Communautés religieuses de l’époque avaient alors décidé de saisir le Président de l’Assemblée Nationale. Dans sa réponse, ce dernier, en voulant les titiller, aurait affirmé à ces derniers que « Les chrétiens, vous chantez à l’Eglise, mais les lois, ça se passe à l’Assemblée ; vous devez avoir vos propres députés pour changer les choses ». Devant la résistance des Communautés religieuses, le projet de réforme avait été retiré. 

La deuxième tentative de modification du Code pénal dans le but, entre autres, d’y introduire les libertés sexuelles remonte à 2012. Les députés de la 12e Législature avaient alors jugé inadmissibles et intolérables ces déviances avec les réalités culturelles, spirituelles et morales gabonaises, stoppant ainsi le projet de réforme. 

Dans les faits, sans être exhaustif, il convient de rappeler la vraie fausse tentative de célébration d’un mariage coutumier par des personnes homosexuelles au PK8 en décembre 2013, sans oublier les faits plus récents de mariage célébré à Toulouse en France en 2019 de deux femmes gabonaises et d’insertion d’un enseignement sur l’orientation sexuelle dans le programme des classes de 5e, tous jugés inadmissibles par les populations gabonaises. 

Par ailleurs, l’observation du processus de légalisation de l’homosexualité dans un certain nombre de pays permet de constater que le mode opératoire des lobbies est quasiment le même : dénonciation de la discrimination, de la stigmatisation et de l’intolérance à l’égard des personnes d’identité LGBT ; revendication des droits spécifiques, notamment le droit à des manifestations publiques (carnaval, festival, Gay Pride, etc.), le droit à l’adoption des enfants, le droit à l’éducation sur l’orientation sexuelle et enfin le droit au mariage. 

C’est sans doute l’ensemble de ces données juridiques et factuelles susceptibles de déstabiliser l’ordre moral, éthique, culturel et spirituel de la société gabonaise qui ont poussé non seulement le constituant dérivé de 2018 (loi n° 0001/2018 du 12 janvier 2018) à définir le mariage comme l’« union entre deux personnes de sexe différent », mais aussi le législateur à légiférer pour la première sur la question de l’homosexualité, dans le sens de sa pénalisation. Ainsi, l’article 402 alinéa 5 de la loi n°042/2018 du 05 juillet 2019 portant Code pénal en République gabonaise disposait que : « constituent des atteintes aux mœurs les relations sexuelles entre personnes de même sexe » et que les contrevenants étaient passibles de « 6 mois de prison et 5 millions de francs CFA d’amende». Saisie par le Premier ministre pour se prononcer sur la constitutionnalité de ce texte, la Cour constitutionnelle, dans sa Décision n°319/CC du 3 juin 2019 (Journal Officiel n°27 bis Spécial, du 17 juillet 2019, p. 1), a jugé que « l’examen de ladite loi n’a laissé apparaître aucune disposition contraire à la Constitution ; qu’il convient par conséquent de la déclarer conforme à la Constitution ». En d’autres termes, les dispositions querellées de l’alinéa 5 de l’article 402 de la loi n°042/2018 pénalisant l’homosexualité ont été déclarées conformes à la Constitution par la Haute juridiction. Il est donc étonnant que certains persistent à dire que cette loi, qui d’ailleurs « n’a jamais donné lieu à aucune condamnation jusqu’à ce jour, portait tout de même en elle les germes d’une discrimination contraire aux dispositions de notre Constitution qui garantissent le respect de la vie privée » (Ali Akbar Onanga Y’Obegue) 

2-La signification de la dépénalisation et ses motifs 

Dans les réseaux sociaux, il existe une véritable confusion entre la dépénalisation et la légalisation. Or, il n’en est rien. 

En effet, la dépénalisation est le fait de sortir un acte ou un fait de l’ordre des infractions, ou de l’ordre d’une faute pénale. En revanche, la légalisation est le fait de faire entrer un acte ou un fait dans l’ordre juridique. 

Ainsi, dépénaliser l’homosexualité signifie que le législateur décide de ne plus en faire une infraction pénale (crime ou délit) entraînant, pour le contrevenant, un emprisonnement ou une peine d’amende. 

Toutefois, si la dépénalisation n’est pas synonyme de légalisation, elle signifie néanmoins autorisation de faire car, pour reprendre l’article 5 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, texte du bloc de constitutionnalité : « Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas ». A partir de cet instant, les homosexuels peuvent désormais non seulement continuer à avoir des relations sexuelles en privé, mais aussi s’embrasser, user ou revendiquer des divers droits cités ci-dessus en public sans s’être inquiétés. 

En réalité, la dépénalisation ou l’ignorance juridique actuelle de l’homosexualité, contrairement à celle d’avant 2019, n’est que la première étape d’un vaste programme dont le point culminant est la légalisation du mariage entre personnes de même sexe, selon le mode opératoire présenté plus haut. Deux facteurs qui constituent les motifs réels de la dépénalisation permettent de corroborer cette affirmation. 

D’une part, alors que l’exposé des motifs accompagnant la loi portant modification du code pénal était muet sur la question, dans son twitter du 24 juin 2020, le Premier ministre va dévoiler le fond de la dépénalisation en félicitant les « parlementaires d’avoir fait évoluer les mentalités et su s’adapter au temps ». En d’autres termes, la loi sur la dépénalisation a pour véritable objet de transformer les mentalités des Gabonais, réfractaires à l’homosexualité, et de les amener à s’adapter à l’évolution du monde, à « la modernité sexuelle » symbolisée par les lobbies LBGT. 

D’autre part, selon Ali Akbar Onanga Y’Obegue, « en choisissant la voie du respect de ses engagements internationaux en matière de droits humains, le Gabon prend une sérieuse option favorable pour lui, et qui ne manquera pas de lui faire gagner de précieux avantages auprès des organismes bilatéraux et multilatéraux très attentifs sur ces questions, notamment sur le plan de l’aide financière internationale ou de l’attrait des investissements internationaux » (L’Union du 29 juin 2020). Autrement dit, la dépénalisation de l’homosexualité obéit à une logique de séduction des bailleurs et des investisseurs et de captation des ressources financières internationales. Ainsi, les valeurs morales, traditionnelles et spirituelles de la société gabonaise prévues par la Constitution seraient sacrifiées sur l’autel des bailleurs de fonds et des investisseurs internationaux. Compte tenu de la forte dépendance du Gabon vis-à-vis de ces derniers, il est évident que l’ensemble du processus décrit plus haut finira par aboutir si les lobbies ne rencontrent pas de résistance farouche. 

3-La (dé) pénalisation et la Constitution 

Les collègues Guy Rossatanga-Rignault et Ali Akbar Onanga Y’Obegue affirment que la loi sur la pénalisation de l’homosexualité viole non seulement la Constitution mais aussi les normes internationales auxquelles le Gabon est un Etat- partie. Et les deux auteurs se réfèrent au Préambule de la Constitution gabonaise dispose que « Le Peuple Gabonais affirme solennellement son attachement aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales tels qu’ils résultent de la Déclaration des Droits de l’Homme et du 

Citoyen de 1789 et de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, consacrés par la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981 et par la Charte Nationale des Libertés de 1990 ». Il s’agit en fait des normes du bloc de constitutionnalité. 

Il convient cependant de rappeler aux collègues que la Cour constitutionnelle, dans sa Décision n°319/CC du 3 juin 2019 (Journal Officiel n°27 bis Spécial, du 17 juillet 2019, p. 1), a déclaré cette loi conforme à la Constitution, c’est-à-dire à l’ensemble des normes de référence du bloc de constitutionnalité. 

Par ailleurs, pour étayer leur argumentation sur le fondement constitutionnel de l’homosexualité, les collègues ainsi que le Coordinateur Résident des Nations Unies au Gabon citent le paragraphe 1er de l’article 1er de la Constitution selon lequel : « Chaque citoyen a droit au libre développement de sa personnalité, dans le respect des droits d’autrui et de l’ordre public ». Le problème est que ni les travaux préparatoires des instruments internationaux cités dans le Préambule, ni ceux de la Constitution du 26 mars 1991, encore moins les commentaires de la Cour constitutionnelle de 2012 sur l’ensemble des textes du bloc de constitutionnalité ne fait état d’un lien quelconque entre les dispositions visées et les personnes d’identité LGBT. Autrement dit, à notre avis, pour reprendre la position de la Cour constitutionnelle, la pénalisation de l’homosexualité ne posait aucun problème constitutionnel. 

En revanche, la dépénalisation suscite de nombreux questionnements constitutionnels. 

D’abord, si le législateur peut toujours revoir sa copie, il apparait néanmoins que le projet de loi sur la dépénalisation semble avoir remis en cause l’autorité absolue de la chose jugée. En effet, dans sa Décision n°319/CC du 3 juin 2019 relative au contrôle de constitutionnalité de la loi n°042/2018 portant Code Pénal (Journal Officiel n°27 bis Spécial, du 17 juillet 2019, p. 1), la Cour constitutionnelle l’avait déclarée conforme à la Constitution. En décidant de faire fi de cette décision, en supprimant la disposition sur la pénalisation de l’homosexualité jugée conforme à la Constitution et en remettant quasiment à plat le corpus de l’ancien texte, le législateur semble avoir porté atteinte à l’autorité de la chose jugée consacrée par l’article 92 de la Constitution selon lequel : « Les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales ». 

Ensuite, l’adoption, dans l’urgence et sans débat public, de la loi sur la dépénalisation de l’homosexualité par une poignée de 48 députés, 24 contre et 25 abstentions sur 143, et de 59 sénateurs, 17 contre 4 abstentions sur 102, sur une question de société d’une extrême importance pose un problème de légitimité au regard de la Constitution. 

En effet, il est notoire que le Peuple Gabonais, « conscient de sa responsabilité devant Dieu » et attaché à « ses valeurs sociales, morales et spirituelles », est totalement opposé à toutes relations sexuelles entre personnes de même sexe. Cette question aurait donc nécessité au moins un débat national et populaire pour éviter de fragiliser l’unité nationale et d’ébranler ainsi les valeurs morales, traditionnelles et spirituelles de notre société. Mieux, elle nécessitait d’une part, un consensus national et, d’autre part, une approbation populaire par la voie référendaire. Ce dernier aspect est d’autant plus important que, selon l’article 18 de la Constitution, « Le Président de la République, sur sa propre initiative, ou sur proposition du Gouvernement, ou sur proposition de l’Assemblé Nationale ou du Sénat prise à la majorité absolue peut, pendant la durée des sessions, soumettre au référendum tout projet de loi portant application des principes contenus dans le préambule ou le titre préliminaire de la Constitution… ». Or, la question de la dépénalisation de l’homosexualité et son pendant, l’autorisation tacite des relations sexuelles entre personne de même sexe touchent directement à ces principes et au titre préliminaire de la Constitution, notamment « la responsabilité du Peuple Gabonais devant Dieu », « son attachement à ses valeurs sociales profondes et traditionnelles, à son patrimoine culturel, matériel et spirituel… » (Préambule de la Constitution), et « La famille… cellule de base naturelle de la société, (et) le mariage, union entre deux personnes de sexe différent… » (article 1er § 14 du titre préliminaire de la Constitution). 

Enfin, en supprimant l’alinéa 5 de l’article 402 qui disposait que : « constituent des atteintes aux mœurs les relations sexuelles entre personnes de même sexe » et que les contrevenants étaient passibles de « 6 mois de prison et 5 millions de francs CFA d’amende», la loi querellée heurte le Préambule de la Constitution gabonaise qui proclame l’attachement du Peuple Gabonais « à ses valeurs sociales profondes et traditionnelles, à son patrimoine culturel, matériel et spirituel… ». De plus, elle fragilise la conception nationale de la famille et du mariage qui bénéficient pourtant d’une protection constitutionnelle spéciale. L’article 1er § 14 de la Constitution dispose ainsi que « La famille est la cellule de base naturelle de la société, le mariage, union entre deux personnes de sexe différent, en est le support légitime. Ils sont placés sous la protection particulière de l’Etat ». 

Mieux, en autorisant et officialisant tacitement les relations sexuelles, hors mariage, entre personnes de même sexe, la loi querellée est attentatoire « aux bonnes mœurs et à la bonne entente des groupes » (article 1er § 13 alinéa 2 de la Constitution). Elle vient donc troubler la quiétude nationale en ces temps de crise sanitaire et défier la majorité des citoyens qui s’y opposent, en bafouant ainsi les valeurs morales, spirituelles et traditionnelles de la société gabonaise. Dans ces conditions, cette loi ébranle « l’unité nationale du Peuple Gabonais » telle que proclamée dès le premier paragraphe du Préambule de la Constitution. 

Ces différents principes et valeurs constituent les éléments matriciels et substantiels inhérents à l’identité constitutionnelle du Peuple Gabonais qui ne peuvent être remis en cause que par la volonté expresse du Peuple gabonais. Ils traduisent l’idée de consubstantialité et d’inséparabilité entre le droit constitutionnel gabonais, la culture, les principes et les valeurs de la société gabonaise. Remettre en cause cette identité constitutionnelle gabonaise, c’est nier, voir tuer l’âme du Peuple Gabonais. 

Télesphore ONDO

Docteur en Droit public Maître-Assistant, FDSE, UOB Ancien d’Eglise 

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