Onanga Y’Obegue : « la réforme du CGE ou tout autre organe électoral indépendant s’impose comme une priorité absolue »
Le Gabon se trouve aujourd’hui à un moment décisif de son histoire politique. À la suite du référendum constitutionnel qui a marqué une première étape dans le processus de transition, le pays s’engage désormais dans l’élaboration d’un nouveau code électoral, texte fondamental qui déterminera les règles du jeu démocratique. Après l’adoption de la nouvelle Constitution par référendum le 16 novembre dernier, processus qui a suscité des critiques quant à son manque d’inclusivité, la question de la méthodologie d’élaboration et d’adoption du Code électoral revêt une importance capitale pour la réussite de la transition et l’établissement d’une démocratie véritable.
I- UNE MÉTHODOLOGIE CRUCIALE
La spécificité du Code électoral, en tant que texte éminemment politique, exige une approche particulière dans son élaboration. Contrairement à d’autres textes législatifs, le Code électoral n’est pas une simple compilation technique de règles juridiques, mais l’expression même du contrat démocratique entre les différentes forces politiques d’un pays. Il traduit, dans ses dispositions les plus fines, l’équilibre délicat entre majorité et opposition, tout en garantissant les principes fondamentaux d’une démocratie pluraliste.
La situation actuelle présente une particularité qui mérite une attention spéciale. Alors que la Constitution a bénéficié d’une légitimation populaire directe à travers le référendum, le Code électoral sera adopté par la voie parlementaire. Or, le Parlement de transition actuel n’est pas issu du suffrage universel, mais composé de personnalités désignées. Cette configuration particulière, si elle n’invalide pas la légalité du processus, impose une exigence accrue de légitimité démocratique dans l’élaboration du texte.
Face à ce défi, la méthode proposée par le pouvoir de transition, consistant à confier la rédaction initiale à un comité technique, bien que nécessaire, ne saurait suffire. Ce comité, dont la composition reflète une approche plus technique que politique, peut certes produire un avant-projet cohérent sur le plan juridique, mais celui-ci ne peut prétendre incarner à lui seul le consensus national nécessaire sur les règles du jeu démocratique.
C’est pourquoi il apparaît indispensable d’instituer, entre la phase technique initiale et l’adoption parlementaire finale, une étape cruciale de dialogue politique approfondi. Ce dialogue ne doit pas être une simple consultation formelle, mais un véritable espace de négociation et de construction du consensus sur les règles électorales. Il doit réunir l’ensemble des forces vives de la nation : représentants du pouvoir de transition, partis politiques de la majorité comme de l’opposition, organisations de la société civile spécialisées dans l’observation électorale, experts nationaux et internationaux.
Le texte issu de ce dialogue politique devrait ensuite être repris intégralement par le gouvernement de transition pour être présenté au Parlement. Cette fidélité au consensus obtenu est essentielle pour préserver la confiance des acteurs politiques dans le processus. Le rôle du Parlement de transition serait alors de donner force de loi au texte consensuel, sans en modifier la substance.
Cette méthodologie présente plusieurs avantages majeurs. Tout d’abord, elle permet de combiner expertise technique et légitimité politique dans l’élaboration du Code électoral. Ensuite, cette approche répond à l’une des principales critiques adressées aux processus électoraux passés au Gabon : le manque de concertation dans l’élaboration des règles du jeu.
De plus, cette méthode permet de compenser le déficit de légitimité démocratique du Parlement de transition. En effet, si les parlementaires actuels ne sont pas des élus du peuple, le fait qu’ils adoptent un texte issu d’un large consensus politique renforce la légitimité du processus dans son ensemble.
La réussite de cette méthodologie repose sur au moins deux conditions essentielles.
La première est la sincérité du pouvoir de transition dans sa volonté de construire un consensus véritable. Les autorités de la transition doivent impérativement s’abstenir d’interférer dans l’élaboration et la validation du texte. Leur implication dans le référendum constitutionnel a suscité des critiques en raison de leur posture partisane perçue, ce qui a contribué à alimenter un climat de méfiance. En se tenant à l’écart de ce processus, elles permettraient une décrispation politique et offriraient une chance réelle de produire un code électoral qui soit perçu comme impartial. Leur rôle doit se limiter à faciliter les discussions et à garantir que celles-ci se déroulent dans un climat de sérénité et de respect mutuel. Une telle posture de neutralité est indispensable pour éviter les accusations de partialité et pour envoyer un message fort de bonne foi. Cette posture serait non seulement un gage de bonne foi, mais également un signal fort envoyé à la communauté internationale sur la volonté du Gabon de respecter les principes démocratiques.
La deuxième condition est la participation effective de l’ensemble des forces politiques significatives du pays. L’expérience des dialogues passés montre que l’absence d’une partie importante de l’opposition fragilise la légitimité du processus. La présence d’experts internationaux et d’observateurs des organisations régionales peut apporter une expertise précieuse et une garantie supplémentaire d’impartialité.
La question du calendrier mérite une attention particulière. Si la transition ne doit pas s’éterniser, la qualité du processus d’élaboration du Code électoral ne doit pas être sacrifiée à des considérations de temps. Un code électoral bâclé porterait en lui les germes de futures crises politiques bien plus coûteuses en temps et en stabilité que quelques mois supplémentaires de concertation.
La méthodologie proposée représente également une opportunité de restaurer la confiance entre les acteurs politiques gabonais. Les tensions et les suspicions accumulées au fil des crises électorales passées ne pourront être surmontées que par un processus exemplaire d’élaboration des nouvelles règles du jeu démocratique.
Les autorités de la transition doivent prendre la pleine mesure de cet enjeu. L’adoption du futur code électoral est un test décisif pour leur crédibilité et leur capacité à tenir les promesses faites au peuple gabonais. Une démarche précipitée, opaque ou excluant une partie des acteurs politiques ou de la société civile serait perçue comme une trahison des attentes légitimes de transparence et d’inclusivité. Elle compromettrait la transition en cours et ferait peser de lourdes menaces sur l’avenir démocratique du pays.
En revanche, en suivant la méthode proposée, les autorités de transition pourraient non seulement éviter ces écueils, mais également offrir au Gabon une chance réelle de tourner la page des crises politiques récurrentes. Un code électoral élaboré dans ces conditions serait le socle d’une nouvelle ère de gouvernance démocratique, où chaque acteur, qu’il soit de la majorité ou de l’opposition, pourrait s’exprimer et concourir dans un cadre clair, équitable et respecté de tous.
Ce schéma n’est pas une simple option parmi d’autres. C’est une nécessité impérieuse pour garantir des élections crédibles et apaisées, mais aussi pour renforcer la cohésion sociale et reconstruire la confiance dans les institutions. Le Gabon est à un tournant de son histoire politique. Il appartient aux autorités de transition de saisir cette opportunité avec courage et responsabilité, en démontrant que leur engagement pour la transparence et la démocratie n’est pas un vain mot, mais une réalité tangible.
II- DES ENJEUX TECHNIQUES DÉTERMINANTS
La refonte du fichier électoral constitue une pierre angulaire essentielle pour garantir la crédibilité des processus électoraux. Un fichier électoral fiable et à jour est le socle sur lequel repose l’ensemble du système électoral, car il détermine qui a le droit de voter et dans quelles conditions.
La réforme du Conseil Gabonais des Élections (CGE) ou tout autre organe électoral indépendant s’impose comme une priorité absolue pour garantir des élections transparentes et crédibles au Gabon. Bien que des critiques aient été formulées à son encontre, le CGE demeure l’organe le mieux positionné pour superviser les processus électoraux de manière crédible. Contrairement au ministère de l’Intérieur, dont la dépendance structurelle au pouvoir exécutif compromet la neutralité, le CGE, avec les réformes nécessaires, peut devenir une institution capable de refléter les aspirations démocratiques du peuple gabonais.
Le Gabon est tenu de confier l’organisation des élections à un organe indépendant conformément aux engagements internationaux qu’il a souscrits, notamment la Charte Africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance, ratifiée par le pays en 2016, en particulier dans son article 17. En tant que signataire de cette charte, le Gabon ne peut se départir de cette obligation sans risquer de remettre en cause sa crédibilité au sein des organisations régionales et internationales.
Le découpage électoral constitue un pilier fondamental d’un système démocratique crédible et inclusif. En effet, le tracé des circonscriptions électorales a une influence déterminante sur la représentation politique et, par extension, sur la légitimité des institutions issues du suffrage.
Un découpage électoral équitable doit avant tout refléter fidèlement les réalités démographiques et géographiques du pays. Cela signifie que chaque circonscription doit être conçue de manière à assurer une représentation proportionnelle des citoyens, indépendamment de leur lieu de résidence. Par conséquent, la mise en place de critères objectifs, basés sur des données démographiques récentes et fiables issues de recensements périodiques, est impérative pour garantir l’équité dans la répartition des sièges.
La sécurisation du vote et du dépouillement représente un enjeu fondamental pour garantir l’intégrité du processus électoral et renforcer la confiance des citoyens dans les résultats des scrutins. Au Gabon, comme dans de nombreux pays, les irrégularités liées au vote et au dépouillement sont souvent au cœur des contestations post-électorales. Pour prévenir ces tensions et crédibiliser les résultats, il est impératif d’adopter des mesures techniques rigoureuses, combinées à des mécanismes de transparence et de traçabilité, à chaque étape du processus.
L’introduction d’un bulletin unique est l’une des réformes les plus efficaces pour limiter les risques de fraude et les manipulations électorales. Ce dispositif consiste à fournir un seul bulletin par électeur, contenant les noms et logos de tous les candidats ou partis en compétition. Ce système présente plusieurs avantages : il réduit les possibilités de falsification des bulletins, simplifie leur gestion logistique et diminue les coûts de production. De plus, le bulletin unique permet de garantir la confidentialité du vote, car il empêche les électeurs d’être identifiés sur la base de bulletins spécifiques qui leur auraient été remis par des partis ou des candidats.
Le dépouillement public et immédiat des votes dans chaque bureau de vote est une autre mesure cruciale.
La transmission des résultats constitue une étape particulièrement sensible, où les risques de manipulation ou de perte d’intégrité des données sont élevés. Pour sécuriser ce processus, il est impératif de mettre en place un système permettant de tracer chaque procès-verbal depuis le bureau de vote jusqu’à la centralisation nationale.
De plus, les mécanismes de transmission doivent inclure des points de contrôle intermédiaires, où les résultats sont vérifiés et recoupés avant d’être centralisés. Chaque étape du processus doit être documentée et accessible aux représentants des candidats, aux observateurs et aux citoyens, afin de prévenir les accusations de falsification ou d’opacité. La publication des résultats provisoires en temps réel, par bureau de vote, sur des plateformes publiques ou dans les médias, renforce également la transparence et permet aux citoyens de suivre le processus.
La question du contentieux électoral est l’un des aspects les plus critiques dans l’organisation d’élections crédibles, car elle touche directement à la légitimité des résultats et à la confiance des citoyens envers le processus démocratique. Le contentieux électoral, lorsqu’il est bien encadré, constitue un mécanisme essentiel pour résoudre les différends et garantir que les élections se déroulent dans un cadre légal et transparent.
Le rôle des observateurs électoraux qu’ils soient nationaux ou internationaux, est un aspect incontournable pour garantir la crédibilité, la transparence et la légitimité des élections. Leur présence contribue à rassurer les citoyens, les partis politiques et la communauté internationale sur l’intégrité du processus électoral.
La protection des droits des candidats et de leurs représentants est une condition essentielle pour garantir l’équité et la crédibilité d’un processus électoral. Dans un contexte où les tensions politiques et les soupçons de manipulations peuvent être élevés, comme au Gabon, il est crucial de mettre en place des mécanismes robustes pour assurer la sécurité, l’intégrité et la participation effective des candidats et de leurs mandataires tout au long des scrutins. Ces protections ne se limitent pas à une simple reconnaissance formelle de leurs droits, mais exigent des mesures concrètes et des sanctions dissuasives contre toute tentative d’y porter atteinte.
Le droit d’accès des candidats et de leurs représentants à toutes les étapes du processus électoral est également un élément fondamental. Cela inclut l’accès aux centres de compilation des résultats, aux bureaux de vote, et aux réunions organisées par les commissions électorales. Les représentants des candidats doivent être autorisés à superviser les opérations de vote et de dépouillement, à poser des questions et à signaler des anomalies lorsqu’elles surviennent. Ils doivent également avoir le droit de consulter les documents électoraux pertinents, tels que les listes électorales, les procès-verbaux des bureaux de vote et les tableaux de compilation des résultats. Toute tentative de limiter cet accès ou de restreindre leur rôle doit être considérée comme une violation grave de la transparence et de l’équité électorale.
L’expérience des processus électoraux passés au Gabon a clairement montré que la précipitation et l’absence de concertation approfondie dans l’élaboration des cadres électoraux mènent presque inévitablement à des contestations post-électorales. Ces contestations, souvent accompagnées de violences ou de crises politiques, fragilisent la stabilité du pays et sapent la confiance des citoyens dans les institutions. Face à ces leçons du passé, il est impératif de ne pas céder à l’urgence apparente, mais d’accorder le temps nécessaire à l’élaboration d’un code électoral consensuel et rigoureux.
Dans un contexte où les citoyens attendent des signaux clairs de changement et de rupture avec les pratiques du passé, toute opacité ou tentative d’exclure certaines parties prenantes du processus serait immédiatement perçue comme suspecte. Cette suspicion, justifiée par les expériences passées, pourrait nourrir un climat de défiance généralisée envers les autorités de transition et le cadre électoral qu’elles s’efforcent de mettre en place. Elle compromettrait ainsi non seulement la crédibilité des futures élections, mais également la stabilité de la transition elle-même.
Les conséquences d’une telle approche seraient multiples et graves. D’abord, en donnant l’impression que le futur code électoral est conçu pour servir des intérêts particuliers, les autorités de transition risqueraient de voir leur projet rejeté par une partie importante des acteurs politiques et de la société civile. Ensuite, ce climat de défiance affecterait directement la légitimité des institutions issues de ces élections, alimentant un cycle de contestations qui pourrait conduire à une instabilité prolongée. Enfin, sur la scène internationale, un tel échec porterait un coup sévère à l’image du Gabon, qui cherche à regagner sa crédibilité et à renforcer ses liens avec les partenaires régionaux et internationaux.
Pour éviter ces risques, l’inclusivité doit être au cœur de cette démarche. Toutes les composantes de la société gabonaise doivent être impliquées dans le débat et la rédaction du code électoral, même celles qui expriment des critiques ou des réserves à l’égard des autorités de transition.
Enfin, cette démarche pourrait, si nécessaire, justifier une légère prolongation de la période de transition, dans l’intérêt supérieur de la nation.
C’est à ce prix, et à ce prix seulement, que le Gabon pourra ouvrir une nouvelle page de son histoire politique, marquée par la confiance, la stabilité et le progrès.
Ali Akbar ONANGA Y’OBEGUE
Enseignant de Droit à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de l’UOB
Ancien Secrétaire Général du Gouvernement