Nous ne sommes pas tous des citoyens gabonais
Au vu de l’actualité de notre pays depuis plusieurs mois et surtout de nombreux amalgames qu’on peut parfois lire ici et là, il apparaît impératif de redéfinir ce qu’est véritablement le rôle du citoyen d’un pays. Car oui, avoir la nationalité gabonaise ne fait pas vraiment de nous de facto des citoyens gabonais.
Avant toute chose, il importe d’établir la différence, peu connue, qui existe entre la nationalité et la citoyenneté. C’est l’apport d’une nuance qui va nous permettre de bien comprendre de quoi il s’agit ici.
Selon le Code de la nationalité Gabonaise, « la nationalité gabonaise est le lien de droit qui, depuis le 17 Août 1960, date de l’accession du Gabon à la souveraineté internationale, rattache les personnes à l’Etat Gabonais ». Autrement dit, c’est notre nationalité qui établit notre appartenance à un peuple constitué en corps de Nation ou à un Etat. Il existe diverses façons d’acquérir la nationalité gabonaise : par la naissance, l’affiliation, la reconnaissance, la réintégration, le mariage ou l’adoption. Le Code de nationalité en livre les détails.
Quant à la citoyenneté, elle n’a rien à avoir avec l’appartenance ou non à un groupement, même si cette dernière est la condition pour l’obtenir. La citoyenneté est un ensemble de droits et de devoirs qui nous sont dévolus à l’acquisition de la nationalité gabonaise.
Seulement, très peu de gabonais connaissent leurs droits et leurs devoirs. Et cette ignorance conduit à des actes d’incivisme et antipatriotiques de la part des populations d’une part ; et à des actes de violation des libertés fondamentales et d’abus de pouvoir de la part des dirigeants et des forces dites de l’ordre d’autre part. En un mot, l’ignorance de nos droits et de nos devoirs vis-à-vis de notre pays laisse libre court à l’anarchie.
Quand le citoyen est victime de son ignorance…
Tout citoyen devrait connaître ses droits… au moins ses droits. Sinon il se les verra être limités. Quand on ignore ce qu’on n’a pas le droit de nous faire, on s’expose à subir n’importe quoi. Et il suffit de jeter un œil au « Titre préliminaire des principes et des droits fondamentaux » de notre Constitution pour se rendre compte d’à quel point nos droits de citoyens sont violés au quotidien. Qui va s’en plaindre ? L’exemple tout simple et l’un des plus récurrents est visible presque tous les jours dans nos médias ; quand les forces dites de l’ordre prennent l’habitude de systématiquement déshabiller les personnes qu’ils arrêtent avant de les exposer aux médias qui à leur tour relayeront des images parfois de pères et mères de familles dans les plus simples tenues. Très souvent, c’est après les avoir copieusement roué de coups. Pourtant, coupable ou pas, nul ne devrait subir de tels traitements. Ce sont des actes connus de tous au Gabon mais qui ne semblent indigner personne. Des violations flagrantes du tout premier droit fondamental reconnu par notre constitution : « Chaque citoyen a droit au libre développement de sa personnalité, dans le respect des droits d’autrui et de l’ordre public. Nul ne peut être humilié, maltraité ou torturé, même lorsqu‘il est en état d’arrestation ou d’emprisonnement ; » : des lois relatives aux attentats aux mœurs contenues dans notre Code pénal. Bref. On pourrait rédiger tout un ouvrage relatant la violation des droits du citoyen au Gabon. Et c’est principalement à cause de notre ignorance de nos propres droits et libertés que cela est possible ! Nous sommes même arrivés à nous habituer aux choses les plus abjectes de notre société.
On ne peut pas compter sur une justice corrompue pour respecter et faire respecter nos droits à notre place. Cela se vérifie tous les jours. Vu que nos juristes et nos Forces dites de l’ordre, censées connaître la loi et la faire respecter, sont ceux qui la violent le plus. Combien de fois a-t-on vu ou entendu des cas d’arrestations arbitraires, de détention préventives ne respectant pas la durée autorisée, d’abus de pouvoir, de privation de nos libertés fondamentales pour des motifs aussi flous que farfelus ?
A ce dernier propos, le « trouble à l’ordre public » est peut-être la notion la plus ambiguë en droit. Nul ne sait véritablement de quoi il s’agit et ce qu’elle implique. C’est pourquoi les Autorités la brandissent à chaque fois qu’elles veulent violer nos libertés fondamentales. Entre autres celles de manifester quand on estime que nos droits sont bafoués.
Il nous appartient à nous et à nous-mêmes de faire respecter nos droits, qui sont garantis par notre constitution. Mais pour ça il faudrait au préalable les connaître. Evidemment, nous ne sommes pas tous des juristes, mais il y a un minimum que nous devons nous imposer en tant que citoyen d’un pays dit de droit.
Quand le pays est victime de l’ignorance de ses citoyens…
Il n’y a pas que le citoyen qui souffre de sa propre ignorance, mais le pays aussi. Et dans le cas présent c’est l’ignorance de nos devoirs qui handicape toute la Nation. Tant que nous ne savons pas ce que notre pays attend de nous, celui-ci ne pourra jamais véritablement marcher droit. Puisque, comme aimait à le marteler le grand Grégory N. Mintsa, « personne ne fera le Gabon à notre place ». Tout Etat est comme une grande entreprise, et chacun de nous, qu’elle que soit l’importance du rôle que nous jouons, contribue à la faire avancer. Lorsqu’un seul maillon lâche c’est tout le mécanisme qui s’enraye. L’inaction est un virus qui tue les sociétés à petit feu.
Les gabonais attendent beaucoup de leur pays, de leurs dirigeants. Oubliant que le pays en retour attend beaucoup d’eux. Nous connaissons tous ces paroles de Kennedy : « avant de te demander ce que ton pays peut faire pour toi, demande-toi ce que tu peux faire pour ton pays ». C’est la base. Et c’est là qu’intervient l’importance pour un pays que chaque citoyen connaisse ses devoirs. A ce propos, notre Constitution stipule que : « Chaque citoyen a le devoir de défendre la patrie et l’obligation de protéger et de respecter la Constitution, les lois et les règlements de la République ; ». Cela signifie que chaque gabonais est responsable de son pays et de tout ce qui peut lui arriver de bien ou de mal. Ce rôle revêt son importance dans les périodes de trouble et de crise. Dans ces moments, notre devoir en tant que citoyens est de nous engager pour que les choses aillent mieux car il s’agit ici de « défendre la patrie » avant tout. Et cela peut se manifester par des actes de résistance et d’insurrection. Résister à un pouvoir despotique et qui traine le pays vers sa perte n’est pas une question de politique mais de citoyenneté. Contrairement à ce que beaucoup pensent. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen, que notre Constitution reconnaît dans son préambule, insiste fortement sur ce devoir. La Déclaration y accorde une si grande importance que le devoir de résistance à l’oppression occupe quatre articles dans le document (27 ; 33 ; 34 ; 35).
Il est difficile de lister de façon exhaustive les obligations d’un citoyen. Néanmoins, on peut citer :
- Le respect des lois et règlements en vigueur, ne serait-ce que pour nous prémunir d’un quelconque acte qui nous serait préjudiciable. Au vu de la loi, on ne pourra jamais dire « je ne savais pas » … nul n’est censé ignorer la loi.
- Participer au financement de l’Etat en s’acquittant des impôts, taxes, cotisations sociales et autres contributions. Ce qui implique que la fraude fiscale, comme le contournement de la loi, l’évasion fiscale vers les paradis fiscaux, le travail « au noir »… sont des violations des obligations du citoyen envers la communauté nationale.
- Le respect des droits des autres. On ne devrait par exemple pas juger un individu à cause de ses prises de position, qu’elles soient politiques, économiques, etc.
- Faire preuve de civilité et de civisme. Oui, c’est à la mairie de veiller à la propreté de la ville. Mais cela ne signifie pas que notre devoir est de la salir. Donc, salir délibérément les espaces publics est un acte d’incivisme. Tout comme ne pas entretenir son espace privée lorsque celle-ci jouxte un espace public. Nous aussi devons veiller à la salubrité et au rayonnement de nos villes. Ne serait-ce que par la bonne tenue et l’entretien des biens publics ou collectifs. Etc.
A la lumière de ce qui précède, pouvons-nous revendiquer notre statut de citoyen gabonais quand non seulement nous ignorons nos propres droits mais aussi nos obligations vis-à-vis de notre pays ? Lorsqu’au quotidien nous posons des actes qui contribuent au maintien de notre pays dans le sous-développement ? Lorsque nous ne respectons même pas les droits des autres compatriotes ? Non. C’est pourquoi avant de se dire citoyen, activiste, résistant ou tout autre substantif dont nous nous auto-adjugeons, il est fondamental que nous sachions notre place dans la société. Par exemple, un activiste qui ne s’est pas d’abord approprié les valeurs de citoyenneté n’est qu’un agité. C’est une personne dont les actes feront autant de mal au pays que l’oppresseur qu’il prétend combattre. Car quand on s’approprie le droit de tout faire, en général, on choisit de faire n’importe quoi.
Enfin, ce n’est que mon Point de Vue.