La Cour constitutionnelle gabonaise : « défenseure servile de la majorité »
Depuis le 8 septembre 2016 à 15h15, heure de Libreville, les juges de la « bâtisse aux formes orientales du bord de mer » ont été saisis par M. Jean PING, qui conteste les résultats de l’élection présidentielle du 27 août dernier proclamant provisoirement Ali BONGO vainqueur par 49,85% contre 48,23%. Plus Haute Juridiction de l’État en matière constitutionnelle, cette institution intervient dans le cas d’espèce conformément aux articles 83 et 84-7 combinés de la Constitution (issue de la Loi 47/2010 du 12 janvier 2011 et Loi 14/2000 du 11 octobre 2000) en tant que juge de la régularité des élections présidentielles. Elle examine les réclamations et proclame définitivement les résultats du scrutin. Pourquoi définitivement ? Parce que la loi électorale gabonaise de 1996 dispose que les résultats de l’élection du Président de la République sont proclamés à titre provisoire soixante-douze heures (72H) après le jour de la tenue du scrutin par le Ministre de l’Intérieur, invité à cet effet par le Président de la Commission électorale nationale autonome et permanente (CENAP). S’il n’y a pas contentieux, le Président de la République élu ou réélu prête serment à 1’expiration du mandat du Président en exercice (Article 11a L.47/2010 du 12 janvier 2011), c’est-à-dire le 15 octobre 2016. S’il y a contentieux, la décision de la Cour constitutionnelle intervient le vingt-troisième jour suivant l’annonce des résultats provisoire par l’autorité administrative compétente. Pour être plus précis et clair, après la proclamation des résultats par l’autorité administrative compétente, expression consacrée par la Constitution (article 11 alinéa 2), les candidats peuvent saisir directement la Cc dans les huit-jours suivant l’élection, sous peine de forclusion. C’est ce qu’a fait le candidat Jean PING. Saisis dans le délai imparti, les juges constitutionnels se prononcent dans les quinze (15) jours suivant leur saisine. Conformément à la Constitution, la Décision que rendra la Cour Constitutionnelle le 23 septembre prochain n’est susceptible d’aucun recours. Elle s’impose aux pouvoirs publics, à toutes les personnes physiques et morales (article 92).
Or, la Cc est considérée par beaucoup comme la « tour de Pise », c’est-à-dire que dans le cas spécifique du contentieux de l’élection présidentielle, elle penche toujours du même côté, celui de la majorité ; et ce depuis sa création par le constituant de 1991. Vraie ou fausse considération ? Nous allons dans ce document analyser et commenter les dispositions constitutionnelles qui pourront elles-mêmes révéler la vérité.
On peut d’ores et déjà énoncer que la Cc a pu apparaître, dans les premières années de la IIème République (de 1991 à nos jours), comme une institution importante pour l’épanouissement de la démocratie et la garantie des droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. Mais, elle est devenue au fil des années dangereuse pour cette même démocratie. Elle est vue par les parlementaires comme un moyen supplémentaire d’abaisser leurs pouvoirs. Elle est critiquée par la majorité qui y voit un recours d’une opposition déçue de ne pas avoir emporté la conviction du Parlement. Mais la critique la plus sévère et sans doute la plus juste est celle avancée par l’opposition qui y voit une défenseure servile de la majorité.
Une chose est pourtant indéniable : la Cc a pu apparaître au début de la IIème République comme une des institutions les plus originales et essentielles de la Constitution. Force est néanmoins de constater sa déliquescence tant la confiance du peuple au nom duquel elle rend la justice s’y est retirée. A ce titre, elle est remise en cause ; elle est décriée. Il faut reconnaître que le constituant de 1991 n’a pas fait en sorte que la Cc puisse par son statut (I) et celui de ses membres (II) gagner en indépendance et en crédibilité.
- Le statut de la Cour constitutionnelle
La Cc est un pouvoir public constitutionnel. En toute objectivité et paradoxalement, on eut asseoir l’indépendance de cette Cour sur le « principe de la séparation des pouvoirs garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 » que le constituant gabonais a incorporée dans notre bloc de constitutionnalité (Préambule). Sur la base de ce principe, le constituant a entendu garantir l’indépendance de la Cc.
La Cc s’affirme donc depuis sa création comme un pouvoir public parmi d’autres. C’est à ce titre qu’elle jouit de l’autonomie financière selon l’article 93 (L.14/2000 du 11 Octobre 2000). Il en ressort également qu’elle ne peut être contrôlée par une juridiction, fut-ce par la Cour des comptes. Le législateur ne peut, sans méconnaître sa compétence, soumettre la Cc au contrôle de la Cour des comptes.
Mais l’affirmation de cette indépendance ne laisse même le commun des mortels sans réserves. Si cette affirmation tend à renforcer la nature juridictionnelle de la Cour, elle ne laisse pas moins la place à la critique. Son statut de juridiction constitutionnelle est sans équivoque tant ses procédures le prouvent. En revanche, on reste perplexe quant au mode de désignation de ses membres. Celui est le point focal de sa délégitimité et de la défiance observée à son égard.
En effet, ce qui frappe le plus lorsqu’il s’agit de s’interroger sur l’indépendance, l’impartialité de la Cour, c’est de toute évidence le statut de ses membres. Il est très et plus difficile, surtout lorsque les nominations proviennent, faute d’alternance, du même camp politique, d’affirmer que les juges constitutionnels sont des magistrats indépendants. S’ils essaient de se présenter comme tels lors du contentieux des élections législatives, sénatoriales ou locales, en se déportant lorsqu’ils se trouvent en situation mettant en cause leur impartialité, il va de soi que la « théorie des apparences » n’est pas respectée ici, et qu’il conviendra, au moment opportun, de réviser la Constitution sur ce point.
- Le statut des membres de la Cour constitutionnelle
La Cour est composée de membres nommés et des membres de droit. Les membres de droit sont les anciens présidents de la République (article 89 alinéa 7 Constitution 2011). A notre avis, cette dernière catégorie est une incongruité. Nous reviendrons sur cet aspect dans nos prochaines réflexions.
La comprend neuf (9) membres nommés qui portent le titre Juge constitutionnel (L.47/2010 du 12 janvier 2011). Conformément à l’article 89 (L.47/2010 du 12 janvier 2011), trois membres sont nommés par le Président de la République, dont le Président. Le Président de la Cour est donc librement choisi par le Président de la République. Il s’agit d’un pouvoir propre autonome et discrétionnaire, c’est-à-dire qu’il exerce sans obligation de contreseing du Premier ministre. C’est donc une compétence réelle du Président. Cette nomination du Président de la Cour par le Président de la République est clairement une anomalie, car dans la plupart des Cours, le Président est élu par ses pairs. Ici, le choix des présidents est à n’en point douter politique. En règle générale, il s’agit le plus souvent sinon toujours d’un intime du Président. Dans le cas d’espèce, il s’agit d’une intime du Président, puisque la Présidente actuelle nommée en 1991 n’est autre que la mère de trois enfants qu’elle a eus avec Omar Bongo, l’homme qui a dirigé le Gabon pendant 42 ans. Et l’actuel Président, Ali Bongo n’est autre que son beau-fils, puisqu’étant le fils de son défunt compagnon. Par ailleurs, s’agissant de l’absence de contreseing du pouvoir de nomination, faisons remarquer que selon les bases mêmes du régime parlementaire, tous les actes du Président de la République, qu’ils soient réglementaires ou individuels (nominations), devraient être contresignés ; c’est là la rançon de l’irresponsabilité politique du Président de la République.
Trois membres sont désignés par le Président du Sénat et trois par le Président de l’Assemblée nationale, dans ces cas, il s’agit aussi d’un pouvoir propre que les Présidents des assemblées exercent personnellement.
Chacune des autorités visées précédemment désigne obligatoirement deux (2) juristes dont au moins un Magistrat. Celui-ci est choisi sur une liste d’aptitude établie par le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) présidé par le Président de la République (article 70 nouveau). Les Juges constitutionnels sont choisis à titre principal parmi les Professeurs de droit, les Avocats et les Magistrats ayant au moins quarante (40) ans d’âge et quinze (15) ans d’expérience professionnelle, ainsi que les Personnalités qualifiées ayant honoré le service de 1’État et âgées d’au moins quarante (40) ans. Excepté ces conditions minimales, il n’est prévu aucune autre procédure. Or, pour garantir la probité et la neutralité de ces personnalités appelées à trancher les litiges aussi importants que ceux relatifs aux élections, on pourrait mettre en place des commissions parlementaires qui auraient pour rôle de rendre un avis public après avoir auditionné les candidats proposés. Ainsi, le Président de la République ne peut procéder à la nomination qu’après avis public de la commission permanente de chaque assemblée. Les commissions rendent cet avis après avoir éventuellement auditionné le candidat. Si l’addition des votes négatifs au sein de chaque commission représente au moins les trois cinquièmes (3/5) des suffrages exprimés des deux commissions, le Président ne peut procéder à la nomination. Il en sera de même s’agissant des nominations des Présidents des assemblées. Pour remédier au problème de la neutralité et de l’indépendance de la Cour qui se pose avec acuité et qui mène souvent la discussion sur le choix des membres et leur statut, on peut même aller plus loin. Dans un premier cas, on peut prévoir que les juges constitutionnels soient élus à une majorité renforcée par les parlementaires. Ce mode serait garant du pluralisme, dans le cas d’assemblées tout aussi pluralistes. Alternativement, on pourrait supplanter le mode de nomination qui prévoit des commissions parlementaires chargées d’auditionner les candidats et de rendre un avis public avant leur nomination. Ce mécanisme nous semble faible parce qu’il peut être difficile de réunir les trois cinquièmes des suffrages exprimés qui conditionnent le blocage de la nomination. Cette technique peut être remplacée par l’accord des deux chambres et non plus leur véto. Cet accord se faisant après une enquête très approfondie sur la vie privée, les finances et la carrière du candidat. L’accord ne sera plus donné à la majorité renforcée ou des 3/5 mais à la majorité tout court.
Ces garde-fous constituent des éléments de garantie pour sortir des nominations purement politiques et pour assurer l’indépendance de la Cour, voire l’alternance en son sein. Mais il faudrait l’alternance à la Présidence de la République pour que la Cour cesse d’être cette tour de Pise. Et si la Cour penche toujours du même côté c’est parce qu’elle n’a jamais connu d’alternance parce que par ailleurs depuis sa création, le Gabon n’a jamais connu d’alternance ni à la présidence de la République, ni au Sénat ni à l’Assemblée nationale. Ces digues sont nécessaires car quoi que l’on dise ou que l’on pense, même si la Cour tranche en droit et même si en vertu de l’article 68 nouveau les juges ne sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, qu’à l’autorité de la loi, le réalisme le plus élémentaire amène à observer que la jurisprudence de la Cour n’est pas sans rapport avec le bord politique de ses juges.
Il est donc tout à fait normal que les parlementaires aient leur mot à dire parce que la justice est rendue au nom du Peuple gabonais par la Cour constitutionnelle (article 67 nouveau). Or, le Parlement est le représentant de ce peuple et qui est souverain. D’autant plus que le juge constitutionnel est le censeur de la loi adoptée par la Parlement. Par ailleurs, il faut aussi faire remarquer que les décisions par lesquelles sont nommés les juges constitutionnels sont insusceptibles de recours devant le juge administratif. Il n’appartient effectivement pas au Conseil d’État de connaître des décisions par lesquelles le Président de la République nomme un membre de la Cour. Toutefois, on pourrait commencer par déclassifier ces actes afin de les rendre déférables devant le juge administratif.
On peut également porter une critique sur la durée et le nombre de mandats d’un juge constitutionnel. Rappelons à cet effet et conformément à l’article 89 alinéa 2 (L.47/2010 du 12 janvier 2011) que les membres nommés de la Cour le sont pour sept ans (7) renouvelable indéfiniment, là où le même article dans sa version de la Loi 1/97 du 22 avril 1997 avait limité le nombre de mandat des juges à un seul renouvellement. Cette durée, parmi la plus longue mise en place par la Constitution, leur permet d’acquérir par la stabilité qu’elle leur procure, l’indépendance nécessaire à l’exercice de leur fonction. Cependant, leur mandat étant renouvelable, il n’est pas exagéré de dire que les juges sont tentés de plaire à ceux qui les ont nommés pour obtenir à nouveau leur faveur. Il serait peut-être plus sage pour une indépendance plus affirmée de ces juges d’allonger la durée de leur mandat et le rendre non renouvelable. Ainsi peut-on espérer que les juges du Bord de mer exercent envers les autorités nommantes « un devoir d’ingratitude». Même si on sait que même avec pleins de bonne volonté, les juges restent des Hommes qui ont des appartenances politiques qu’ils expriment implicitement mais nécessairement dans leurs décisions. C’est pourquoi la Cour doit se donner à voir car l’image qu’elle donne est primordiale sur sa légitimité et son impartialité. Clairement la Cour doit être impartiale et doit donner une image d’impartialité. Ainsi pourra être sauvegardée la théorie des apparences qui dit : Not only must justice be done, it must also be seen to be done. Le Gabon doit parvenir à cela pour recoudre le tissu social aujourd’hui en miettes.
Par Sylvain-Ulrich-Jean-Marie D’OBAME EDOU
Dr. En Droit Public – Elève-Avocat
C’est de sa nature partiale qu’elle tient son pseudo de tour de pise