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Jean Valentin Leyama: «Éducation-formation-emploi : Le grand bluff!»

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L’heure de sortie des classes est pour moi, un spectacle angoissant. Des milliers de jeunes en tenue, sacs au dos ou en bandoulière, du primaire jusqu’au supérieur, des établissements publics comme du privé, écument les rues en quête d’un moyen de transport ou marchent pour regagner leurs domiciles, enthousiastes à l’idée de « parvenir » aussi un jour, les études étant la voie royale du succès dans notre société. 

Mon angoisse tient en une préoccupation : trouveront-ils des emplois par milliers dans leur pays ou alors seront-ils contraints comme des centaines d’autres, à l’exil ?

Plusieurs milliers d’entre eux ne parviendront pas, pour différentes raisons, au bout des cursus, ils devront abandonner en chemin, livrés à eux-mêmes. Pour ceux qui auront eu la chance de persévérer, le sort est quasiment le même aujourd’hui : le chômage de longue durée, en dépit des diplômes obtenus.

Combien sont-ils exactement ? Entre les actifs qui ont perdu leur emploi et qui en recherchent, entre les jeunes sortis des écoles, lycées, centre de formation, grandes écoles, universités, ils se comptent indubitablement en centaines de milliers. J’exagère peut-être, mais aucune statistique fiable n’est capable de me contredire pour la simple raison qu’elle n’existe pas !

On peut avoir quelques données à l’ONE mais elles ne sont pas représentatives : cet organisme ne compte que ceux qui se présentent à ses guichets. Le temps de réponse positive (trouver un emploi) est tellement long, ajouté à un suivi quasi inexistant des demandeurs, que les postulants disparaissent dans la nature.

Nous sommes donc en présence d’un chômage de masse dont les conséquences sociales sont pour l’instant atténuées par la solidarité familiale, durement éprouvée elle aussi par les difficultés économiques. C’est ainsi que, au-delà de leur trentaine, des milliers de jeunes continuent de vivre chez leurs parents.

Lorsque des dizaines de milliers de jeunes diplômés frappent par dépit à la porte des corps armés pour quelques centaines de postes disponibles, il est clair que la cote d’alerte a été franchie. Si rien n’est fait, si la courbe n’est pas infléchie, ne soyons pas surpris, comble de l’indignation,  de retrouver bientôt des jeunes Gabonais sur la périlleuse traversée de la Méditerranée.

Face à cette détresse, le discours officiel me scandalise par son cynisme ou son incompétence, c’est selon. Que dit-on ?

Le chômage des jeunes s’expliquerait par la mauvaise qualité des formations, trop généralistes et pas suffisamment « professionnalisantes ». D’où cette campagne lancée depuis deux ans par le ministère en charge de l’emploi à coups de grands spots publicitaires, reprise depuis peu par le ministère en charge de l’éducation et de l’enseignement supérieur.

Les Gouvernants, tous issus de la même base politique pourtant, ignorent-ils les évolutions que leurs prédécesseurs ont imprimées au fil des années dans le domaine de la formation au sens large ?

Face à la question des formations généralistes supérieures, des établissements publics ont été créés et forment précisément des spécialistes : INSG, École Polytechnique de Masuku, Institut d’agronomie, sans compter la kyrielle d’établissements privés.

À la question de la spécialité, s’est ajoutée celle de la durée de formation. Les entreprises auraient plus besoin de cadres moyens que de super diplômés. On a ainsi créé des établissements et des diplômes à cette fin :  ENSS (USO), IST, ITO et des diplômes courts : BTS, DTS, DUT.

Cette « professionnalisation » des formations a été renforcée par la généralisation du système LMD (Licence, Master, Doctorat), déversant sur le marché des licences et masters pro. Même des grandes usines de production de généralistes comme les universités se sont elles aussi adaptées vers une plus grande spécialisation des enseignements.

L’obsession de la spécialisation et de la qualification a conduit le Gouvernement à lancer la construction de plusieurs centres de formation avec le concours de partenaires extérieurs et à solliciter des bailleurs internationaux des emprunts en vue de résoudre la question de « l’employabilité ». 

Pourquoi, en dépit de tous ces efforts et investissements, le chômage persiste-t-il alors de manière endémique ?

Comment, dans un pays de grand potentiel minier, des techniciens et des ingénieurs de mines, des géologues chôment, au point, qu’à peine ouverte, l’école des Mines de Moanda a dû fermer certaines filières et s’oriente désormais vers la formation continue ?

Comment, dans un pays à fort potentiel en hydrocarbures, l’Institut du pétrole et du gaz a cessé les recrutements en formation initiale et s’est spécialisé en formation continue, plusieurs de ses promotions ne trouvant pas de débouchés ?

Comment dans un pays qui importe plus de 300 milliards de FCFA de produits alimentaires,  plusieurs promotions de techniciens agricoles et d’ingénieurs agronomes chôment et n’ont d’autres perspectives qu’une hypothétique intégration à la Fonction publique ?

Des paradoxes comme ceux-ci, on peut en citer des dizaines. 

Revenons à la question de base : comment, en dépit de formations de plus en plus « professionnalisantes » et de personnels qualifiés et expérimentés en quantité considérable, le nombre de chômeurs continue de s’accroître de manière exponentielle ?

Tout simplement parce qu’il est préconisé avec entêtement, ignorance, incompétence ou hypocrisie de fausses solutions à de vrais problèmes !

Le problème n’est plus aujourd’hui lié au degré de spécialisation des formations, mais plus gravement à celui de la capacité d’absorption de l’économie. C’est l’économie qui créé les emplois et non l’inverse ! Vous aurez beau former les meilleurs spécialistes dans tous les domaines, le tissu industriel actuel du pays ne pourra jamais absorber des milliers de diplômés déversés sur le marché chaque année.

Par conséquent, inversez la logique : revenez à la planification économique (le PSGE en était un excellent modèle, dommage), diversifiez réellement et largement l’économie (pas à la mode « olamique »), encouragez l’entrepreneuriat parallèlement à l’emploi salarié. Vous obtiendrez ainsi les vrais besoins de l’économie en termes d’emplois.

Et si tous ces discours étaient un grand bluff ? Le Gouvernement qui est à la manœuvre, qui s’exprime, qui prend des décisions dans ce domaine ignore-t-il ou feint-il d’ignorer que, depuis une décennie, la Volonté politique qui lui est supérieure, dessine de manière irrémédiable la nouvelle économie gabonaise, à son plus grand profit à Elle et peu à celui de la Nation ?

La nouvelle économie gabonaise est résumée sur la photo qui illustre ce post, c’est-à-dire dominée, non plus par les Occidentaux, respectueux du Code du travail et de la législation mais par les Asiatiques – Indiens, Chinois, Malaisiens. Ils contrôlent désormais la forêt, les mines, les infrastructures. Excusez l’expression : ils n’ont rien à cirer avec vos super diplômés. Obsédés par la productivité, le m3 de bois, la tonne de minerai chargé, ils font tout eux-mêmes, ne connaissent pas la journée de 8 h, ni les jours fériés, n’embauchent la main-d’œuvre locale qu’au niveau subalterne et de surcroît pour des CDD à très courte durée, renouvelables à l’infini. Avec eux, l’expression laccruchienne devenue célèbre « Qui boude, bouge ! », trouve son plein épanouissement et bonjour la précarité !

La Nouvelle économie gabonaise ne crée pas d’emplois. Au contraire, moins elle en crée, mieux c’est bénef pour elle. Pis, depuis le retournement durable du marché pétrolier et la crise consécutive à la pandémie du COVID-19, l’économie détruit plus qu’elle ne crée des emplois.

Alors, cessez de donner de faux espoirs aux jeunes, c’est une bombe à retardement qui, à n’importe quel moment, risque de nous exploser à la figure.

Moanda, le 18 août 2020.

Jean Valentin Leyama.

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