Polyphonique, polygraphique, polysémique, polymorphique et polycentrique, ton œuvre ne mérite qu’une éclosion capable de peupler des myriades de générations dans toute sa densité. Pour l’éternité. Comme si tu avais éprouvé de l’incomplétude dans l’écriture, tu as choisi de chanter à profusion. Sans confusion. Des chants qui tendent à dédoubler ta nature en traduisant le foisonnement infini, la marque d’une influence culturelle et multiforme qui est la somme de l’exercice empirique et théorique de ta psychologie. De la liberté. Ta liberté. Notre liberté.
Ta symphonie laisse bruire, dans tous les pays, une générosité emphatique que je ne peux retracer. Mimer. Comparer. Imiter. Que j’admire, comblé, sans hésiter.
Alors j’ai choisi de me cacher près d’un rempart construit par ma jeune mémoire pour comprendre tes chants. Je l’ai choisi entre le cœur et la conscience. Entre ma chambre d’étudiant et la politique-poubelle de cette Afrique-funéraire. Entre le nationalisme et le patriotisme. Là où s’ouvrent la fierté et le reniement. De l’aube des indépendances sans sens au zénith de la francophonie célébrée sans fierté. J’ai emprunté la fraîcheur de la liberté littéraire pour me permettre de parcourir ce ruisseau de regrets que tu as chanté «Jusqu’au creux de l’Ogooué».
Ma terre est pâle. Triste. Menteusement souriante depuis cinquante-sept ans. Avant, on accusait l’arrivée des colons, leur rigueur. La fermeture des chantiers coloniaux. Le manque d’emploi. Le manque d’intellectuels chevronnés. Le manque d’argent. Le manque de tout. Ces maux furent le toit qui couvrait l’essor de ta terre. Et on est passé de la paille à la taule bac. De l’écorce au parpaing. Mais l’Afrique avait-elle réellement et partout des chefs d’Etats qualifiés pour couvrir les besoins de ce peuple né des «esclaves libérés»? Qu’accuse-t-on aujourd’hui? L’assujettissement des peuples. Les dictatures royales. Les démocraties saugrenues. La maçonnerie. Les crimes rituels. L’homosexualité. La pédophilie.
La légère brise qui caresse la presse a distillé l’odeur de cette histoire. Celle de la liberté que tu as chantée à t’éclater la gorge. Une corde à trois nœuds, m’indiquait Chamberland: la non-appropriation de notre autodétermination, la stérilité manifeste du couple démocratie-développement et l’émergence suspendue sur une ligne imaginaire, à l’horizon, pour nous consoler de notre fatigante, longue et vaine attente.
De la dictature au monopartisme, des «démocraties salées» au voyoucraties, que n’as-tu pas chanté? Toi, le poète national. La voix africaine, que dis-je, l’ICONE mondiale?
Comme toi à «l’arrivée des chacals», j’ai peur. Je n’ai pas peur des chacals pour qui tu n’as plus peur. J’ai peur des dirigeants qui cherchent à éliminer tous ceux qui ont écouté «le chant du réveil» au carrefour de l’intelligence. «Ton réveil, mon réveil. Celui du père. Celui de la mère. Celui de l’enfant. Notre réveil» qui objecte les gestions scabreuses et morbides de la république devenue nid des barbares. Tous les projets sociopolitiques et intellectuels que tu as proposés, dans tes chansons, à ces barbares n’ont pas suivi d’effets; l’argent et le fanatisme du pouvoir LES conduisent dans un moutonnement sans antériorité. EUX des lions et NOUS des vœux qu’ils décapitent sans crainte.
J’ai peur pour cette nouvelle caste d’hommes sans identités venue assiéger la nation. Notre nation.
Ton tambour a été la pirogue qui t’a conduit à la liberté. Jusqu’ à nous, chez toi, chez nous. Tu as crié rage face à l’oppression. Face à ton frère africain, le nouveau maître. Ni la prison ni l’exil ne te firent peur. D’ailleurs, on n’enferme pas la liberté. Tu as continué de crier. Et à force crier les vomissures et les turpitudes du désenchantement, ta salive a coulé et s’est transformée en encre pour ma plume. Aujourd’hui j’écris sans crainte au nom de la liberté que tu m’as contaminé. Pour qu’ils libèrent la liberté.
Je ne te connais pas assez. Je ne t’ai pas lu assez. J’ignore tout de ton passé car les indépendances, la démocratie et la liberté que tu as tant revendiqué ont tout emporté.
De frontières en frontières, tu as chanté «Powè Powè» en dénonçant les crimes contre l’homme. Tu as recueilli dans ton cœur, le sang des victimes innocentes, « épris de paix». Tu n’as vécu que pour elles. Ton cœur ne bat plus qu’au rythme de leurs cris. Ton tambour a raisonné en leur mémoire. Tu as porté le «deuil des hommes. Deuil des femmes. Deuil des enfants. Deuil des choses». Et ta bouche n’a jamais cessé de frémir leurs noms. Comme ceux de tes frères. De tes frères de luttes (luttes remportées?)
Tu as chanté NEGRE. Tu as chanté l’homme africain. Africanisé. Africanisant son africanité dans son africanisme universel. Universalisé. Universalisant. Universalisable dans son Histoire historique. Historisé. Historisant. Historisable par son symbolisme symbolique. Symbolisant l’immaturité politique Symbolisée par sa filiation à l’oubli, des oubliés, oubliant l’inoubliable qui évoque les crampes de son indifférence face à son propre avenir qui le tient au piège de la raison.
Dans une «Confidence au Très Haut», tu as demandé à Dieu de pardonner la cupidité et la cruauté de tes frères noirs. «Ais pitié, mon Dieu et pardonnes-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font», as-tu imploré. Toi le poète qui n’a rêvé que d’un peuple uni, un peuple considérable. Que les bourreaux ont désuni et liquident à travers des crimes rituels et les crises politiques comme des mouches, sans raison, en nombre considérable. Ils se sont approprié l’adresse de Dieu et font la loi. Tu la vois, cette loi. Tu la vis. Et la ris, sans cris de satisfaction, je l’écris.
Tu es d’ici. Tu es ici. Et issu de là où tu es, tu rêvais aussi d’ailleurs. Tu as vulgarisé, dans ton exil intérieur, la somptuosité de l’HOMME universel. Tu as foulé des terres incertaines. Tu es rentré précipitamment dans l’ombre d’une vie remplie d’espoir. Espoir qui a fondé l’espérance des désespérés des peuples considérables. Pour me libérer, moi petit nègre moderne, des carcans de l’aliénation culturelle. Des turpitudes des gestions béquilleuses. Tu as marché, certain, dans ce monde cruel. Faut-il remonter ce temps pour retracer tes empreintes? «Obota» t’a transporté dans ce voyage d’errance. Oui Pierre. Tu as été la pierre qui a roulé sans jamais avoir besoin de mousse. Tu as roulé toute ta vie sans encombre.
Quelque chose avait débarqué en Afrique. Au Gabon. Au Congo. En Guinée. Au Benin. En Côte D’ivoire. Quelque chose de bien pire qui semblait surprenante. On vous l’avait offerte ‘’gratuitement’’. La Démocratie. Tu l’avais trouvée anormale.
Comme un devin, tu as crié «Afriiica!», tu as gémi par tous les mots pour montrer que c’était un «Cadeau empoisonné. Un vrai faux cadeau». Mais tes propres frères, t’ont-ils entendu? Rompavet, ton autre frère chanteur avait pris le risque de la goûter avant de déduire que c’était une «Démocratie salée». La révélation de ce secret a dessillé les regards des autres, de tes autres frères. Tu as chanté leur bravoure. Pour que nous leurs soyons reconnaissants: Patrice Lumumba. Thomas Sankara. Stephen Bantu Biko. Kwame Nkrumah. Et bien d’autres. Et bien d’autres encore…
Le sang a coulé. Il coule toujours. Tu le vois d’ailleurs, puisqu’il longe les rives de ton fleuve. Le sang de ton peuple. Du peuple africain. Du peuple Gabonais. Congolais. Burundais. Soudanais. Maliens. Ivoiriens. Centrafricains. Nigérian…mais aussi syrien, grecque, vénézuélien et bien d’autres encore. Le peuple considérable pour lequel tu t’es battu. Celui pour lequel tu as chanté. Ta muse.
Les innocents payent toujours le prix de leur innocence. Voici la terre de tes aïeux salie par les combats d’égo. Guerres fratricides. Tués pour servir les plus forts. Au nom du pouvoir. Des nominations. De la liberté des valeurs sauvages et maçonniques que je méprise.
Pierre, tu connais bien cette histoire. Tu connais l’histoire de cette Afrique, comme ton autre frère Poète Fondamentale Aimé Césaire qui l’a vécu d’étape en étape. Lors des déportations. «Des étapes de sueur, de sang, de larmes… depuis la cale des négriers».
Cette histoire de sang persécute mon présent. Et me fait peur. Ceux qui nous dirigent nous massacrent. Les lois sont faites pour les servir. Eux et leurs enfants. Ils le font en notre nom. ‘’Peuple souverain’’, nous accusent-ils. Notre présent nous inquiète. Pris au piège entre un «passé maudit dans une histoire qui a perpétué des échecs et ruiné la vie de la nation» et un «futur inatteignable parce que voulant le mettre au présent», notre présent est «haïssable» et nous-mêmes méprisables. Où nous cacher? Leur politique souille la dignité de la nation.
Je ne suis qu’un projet de naissance intellectuelle. Comme d’autres nègres modernes qui parcourent avec entrain tes œuvres. D’humanisme. De réconciliation. De paix. De luttes. D’inégales LUTTES au carrefour des cultures. Importées ou Exportées. Luttes de vie et de mort. Je ne tire pas les lignes de vie. Non. Je ne rebours pas le trajet que tu as parcouru. Je veux juste t’emprunter «Obota» pour remonter le fleuve qui t’a inspiré, jusqu’au «Carrefour Rio». Je veux juste comprendre ta vie d’Être de Lettres dans ce «combat d’ombre et de lumière». Entre espoir et désespoir afin de dessiner une carte imaginaire de ma génération jusqu’à l’ «île de Gorée».
J’écris peut-être parce que je voudrais aussi faire de ta vie un récit légendaire au doux parfum de jasmin. Mais qui t’a d’abord entendu? Ces sorciers malfaiteurs qui nous arrachent des vies en riant ? Qui me lira? Ces jeunes manipulés et imbécilisés qui, pour quelques billets, se détournent de leur «cris de liberté» en sécurisant leurs bourreaux-zombificateurs? Nous les nègres modernes confondons l’histoire collective à l’histoire individuelle. Les projets de l’âme aux pulsions extravagantes qui insidieusement nous conduisent à la perdition des valeurs pour lesquelles tu t’es battu. Que tu défends toujours.
Nous nous détournons de la destination de la liberté. Préférant l’aliénation. Ton bateau est pourtant toujours sur les flots. Tourné vers nous. Qui s’y embarquera? Si je t’écoute encore dans ce foutu présent, c’est parce que ton voile n’a pas fini de traverser les générations. Il me berce toujours dans cette légère brise de ton «Silence». Ta poésie retentit toujours dans mon ouïe comme une trompète. Assoiffé de bonne démence, je titube et répétant: «Powè Powè».
Tu es resté fidèle et solitaire sur les bords de l’Ogooué. Comme Césaire l’est resté à son île. Je ne peux parler de toi sans citer ton frère antillais. Comme je ne peux parler de lui sans te nommer. Je ne peux vous saisir que par comparaison. Ceci est l’expression de mon admiration pour vos œuvres. Admiratif, je le resterai. Je VOUS suis reconnaissant. Je le resterai.
En t’écoutant, j’ai battu les mains toute mon enfance. J’en battrai toujours et je ne m’arrêterai qu’à la borne de la vraie démocratie. Lorsqu’elle garantira les principes universels pour lesquels elle se doit. Je m’arrêterai. Pour comprendre, en dépit de ta modération, ton métissage. Africain de tous les pays. Citoyen du monde. La belle-orgueilleuse revendication de ta démarche intellectuelle.
Tu n’as pas connu les fouets et les carcans. Tu n’as pas été exporté. Tu n’as pas connu l’acre odeur de la sueur, du sang, de la mort dans les cales. Tu n’as pas ‘’soufflé le charbon’’ mais tu as laissé «le soleil mordre mon corps». Puis-je comprendre le sens de ce sacrifice, MOI jeune actuel que la gadoue de la démocratie des sodomites-barbares empêche d’avancer? Tu es rentré dans l’histoire des mentalités. Tu portes sur ton dos les charges de l’héritage ancestral. Tu as affirmé ta solidarité aux opprimés, à «la femme violée, aux mutilés, aux veuves et aux orphelins, aux martyrs et aux pauvres». Tu as crié douleur, famine, solitude. L’écho de ta voix oriente la croix des sans voie.
Ta patrie t’est-elle reconnaissante? Tu es prophète ailleurs. Pourquoi pas chez toi? Ceux que tu as enseignés n’œuvrent que pour la culture de la mort. La mort des compétences. Dans leur médiocrité, ils me répètent que «nul n’est prophète chez soi». Ta patrie refuse de nous enseigner son histoire. Ton histoire. Celle de tes grands oncles. Elle feint d’ignorer la promotion du projet culturel.
Comment espérer faire de nous (nous autres petits jeunes sacrifiés) des vrais africains, des vrais gabonais, des vrais congolais, des vrais ivoiriens, si on nous éloigne de son histoire? Les statuettes de chaque carrefour sont muettes. La description de la misère psychologique, politique et culturelle que tu as toujours chantée flaire les grottes infranchissables de pauvreté liées au fil de suspension. Comment faire de nous une génération considérable?
Ta «forêt d’Etoiles» ne brille plus. Les abeilles sont sorties de leur essaim. Impuissantes, elles sont devenues comme des mouches. Leur bourdonnement assourdi politiquement notre entendement, dans leur médiocre marche. Ils savent maintenant que les panthères ont remplacé les chiens qui aboyaient sans mordre.
Il est probable que pour toi le chant soit un jeu. Un lieu de délectation où se confondent rage et fantasme, pudeur et horreur. Un jeu qui sacrifie le fanatisme en donnant à soi le sens de la méditation et de la médiation. Sens de la vie. Sens de la mort. Sens du monde. Du genre humain dans sa fluctuation entre vie racontée et vie chantée dans une tentative de réincarnation où tu as su solder l’échec. Mais que peuvent nous chanter nos intellectuels quand ils portent eux-mêmes la responsabilité de l’échec du développement social, et de l’alternance du peuple prisonnier dans sa propre souveraineté?
De la poésie au chant en passant par la peinture, tu ne parles plus. Ta musique seule nous laisse découvrir des images fantasmagoriques. Fantastiques. Des tableaux élucidants qui raisonnent quand tu choisis de te taire. Et qui illuminent quand tu chantes. Parce qu’ils décrivent plusieurs traits de la vie. Celle de l’Afrique. Du Monde. De tes grands oncles. La tienne. La nôtre aussi. Susceptibles d’influencer toute ton œuvre et des générations. Je ne voudrais pas réduire ton œuvre à ta vie, ni de suppléer ta vie à ton œuvre. C’est dans les lamentations que je voudrais saisir autant ton œuvre que ta vie, leur alimentation mutuelle pour te comprendre.
Je ne voudrais pas être de ceux qui suivent l’écho sans parvenir à la voix. Alors je cours les averses et les monts. Les versants du silence. Silencieux. Silencieusement. A travers les rochers de connotation de chaque air de tes albums. Dans le silence qui cille ton inspiration au bord de l’Ogooué. Dans l’espoir d’apporter sur les rides de ta sagesse une marque nouvelle que reconnaitront les miens. Peut-être qu’avant que le manque d’intelligence ne NOUS rouille vraiment, glisserai-JE sous ta langue l’audience intellectuelle et morale de ma génération.
Pierre, les héros de tes chassons portent dans leur mémoire l’histoire de l’homme. Des quatre coins du globe.
Noircie dans sa caricature par la case d’ignorance mais blanchie à la mort par la postérité en feinte de reconnaissance. Hypocrisie occidentale! L’empreinte indélébile de la lutte anonyme de chacun pour entrer dans la légende. Comme EUX, tu es devenu l’onde concentrique du choc intellectuel et affectif qui alimente l’histoire des mondes et de l’histoire. Ton histoire. Leur histoire. Notre histoire. Que veut souiller un maître dont on ignore les ambitions. Un Joseph nouveau. Engendré par une guerre biaffratique dont nous ne sommes pourtant pas responsables. Ou plutôt si, par la nationalité.
Je me réveille…écoute encore ce «Réveil d’Afrique», avec ton «cri qui ne maudit» plus. Cet hymne à la liberté retrouvée. Un cri chanté, un poème dit. Qui me donne envie d’aimer et d’haïr. De remonter le temps et de m’en éloigner. D’être frère et ennemi. Une symphonie dans laquelle les mots et les images s’entrechoquent et parlent à nos âmes, devant la mère-nation.
Les images remontent mes tripes et me rappellent que je suis aussi coupable. Je porte ainsi sur mon dos les charges dont je ne suis responsable que de par la culture. La nationalité. Le suffrage. Le genre. On ne me l’explique pas. Mon incertitude, toute nue, a constitué les murs de ma haine. Ma haine coloniale est devenue haine culturelle. Haine constitutionnelle. Haine politique. Je n’ouvre pas la profonde plaie du désamour dans la mémoire des plaines historiques. Non, j’ai vu «Clair» dans leur jeu. Jeu de dupes. Maintenant que tu n’erres plus sur l’Ogooué. Que tu ne parcours plus l’Afrique. L’Afrique à califourchon est à l’ombre de ma maturité. Observe ses formes. Au seuil de pauvreté. Le développement des sociétés modernes cherche l’Afrique égarée sous le feuillage des politiques gloutonnes. Malgré l’abondance de son sous-sol.
Je ne voudrais pas être hostile à la nation. Encore moins à ma génération. Je baille la bouche ouverte pour ne pas honorer les défaillances de la poussée des racines d’une liberté-emprisonnée. Liberté caméra-E-lysée. Je refuse d’être xénophobe. Je préfère des matins où je porte l’ingratitude en jours de fêtes. Je vois des ombres marcher silhouettes après silhouettes. Alors j’ai peur de comprendre par des déductions hâtivement emberlificotées le sens propre de ta philosophie dans cette où les arrivistes nous dominent et liquident ta descendance sans amour. Comment dans un monde comme le nôtre où l’ambition et le vice font des hommes, face à l’argent, des apôtres du mal incarné peut-on espérer vivre sans supplice?
Le monde est devenu différent. Tout est devenu corruption et manichéisme. Tout est faux. Foutu. Pourrie. Mais dans la force qui fut la vôtre, à solder l’échec, à porter la charge de l’humiliation. De la folie, tu as fait de la chanson un Choix. Un choix personnel. Un cri du cœur. Pour comprendre la nature et les humeurs humaines. Pour bouder la douleur et supporter le mépris des autres. Tu as modifié l’image du noir. Du togolais. Du camerounais. Du marocain. Ton image. Mon image. L’image du Monde. Dans la lutte pour la liberté. Du peuple qui se bat toujours et tous les jours pour survivre. Nous. Qui pensons qu’une vie sans réelle démocratie et liberté, sans littératures, est une vie vide de l’intérieur. Une vie fade, sans identité.
MON identité n’est pas une farce. Elle n’est pas la réinvention du sang des martyrs ou le socle démagogique des pyromanes aristocratiques des sociétés vampiriques et voyoucratiques. Elle est moi, liée au fil de ma culture, de mes pratiques ancestrales. Traditionnelles. Religieuses. Initiatiques. Pratiques humaines dans sa formation globalisante. Elle est le drapeau, le blason, la constitution (bien que bafouée), l’hymne qui retentit et me console malgré la faim. Elle est l’armure qui sonde et façonne le guerrier de l’arbre des générations. Arbre généalogique. Elle est Mwiri. Bwiti. Mukukwè. Dissimbu. Mumbuang. Mon identité est une culture. Mvet. Une langue. Le Wumbu. Elle est un homme. L’HOMME. Une terre, un fleuve, un arbre, un regard, un signe. Qui me parle. Dans le scintillement d’une luciole, le gémissement intense d’une douleur. Le bourdonnement du ciel nuageux. Qui ne finit pas. Mon identité est un pays. Que je vois. Prostré sur le lit, au couloir du bloc qui prie le bon Dieu pour rétablir sa santé. Etrangement dévastée par la peste du sous-développement, la corruption et le manque de tout. Morceau choisi, je m’arrête un moment…
Benicien BOUSCHEDY, Ecrivain-Engagé