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Gabon: la lettre ouverte d’un médecin fonctionnaire à Ali Bongo

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Le discours prononcé par le chef de l’Etat Ali Bongo Ondimba lors de la célébration du 58ème anniversaire de l’accession du Gabon à la souveraineté internationale n’a pas fini de susciter des réactions au sein de l’opinion. Pointés du doigt par ce dernier lors de son allocution, les médecins fonctionnaires semble ne pas vouloir se laisser conter. Dans une missive l’un d’entre eux dresse un tableau peu flatteur du système sanitaire Gabonais qui est sinistré du fait du manque d’action du gouvernement.

Monsieur le Président,

C’est avec beaucoup de tristesse que j’ai pris connaissance de votre discours cité en référence dans l’objet du présent courrier. Notamment le paragraphe concernant les Médecins fonctionnaires dont je fais partie, et dont je rappelle in extenso la substance : « …Prenons le cas des médecins fonctionnaires. Pourquoi font-ils grève ? Pour l’amélioration du service au sein de l’hôpital ? Pour une meilleure prise en charge des patients ? Est-ce pour les Gabonais qu’ils bloquent le fonctionnement de l’hôpital ou pour leurs intérêts ? Est-ce pour les gabonais que certains médecins détournent le matériel et les médicaments pour les revendre au prix fort dans les cliniques privées ? Et pourtant on n’a jamais construit autant d’hôpitaux de dernière génération que depuis 2009… ».

Avant de tenter une esquisse de réponse, que d’aucuns trouveraient impartiale, je souhaiterai vous narrer une petite histoire, celle d’un gabonais lambda, né pile au milieu des années 70 à Libreville (Gabon).

Monsieur le Président,

Cette histoire débute donc, vous disais-je en 1975 par une naissance somme toute banale parmi des milliers d’autres. Cet enfant gabonais fera ses premières classes dans un jardin d’enfants public, celui sis au 3ème arrondissement de Libreville, sœur Hyacinthe Antini, jouxtant la mairie du même arrondissement. Son cursus scolaire se déroulera dès l’âge de 4 ans à l’école publique urbaine du centre puis dès l’âge de 10 ans au Lycée Djoué Dabany. L’obtention de son baccalauréat se fera à l’âge de 18 ans dans un autre pays africain où la mère de cet enfant avait été envoyée en stage de perfectionnement professionnel par l’État gabonais. C’est dans ce même pays africain que ce jeune gabonais effectuera ses études de Médecine grâce au programme des bourses de l’État gabonais dont il a jouit tout au long de sa formation. Titulaire de son Doctorat en Médecine en décembre 2002, donc à 27 ans, c’est rempli de désir de servir son pays que ce jeune gabonais a fait le choix de revenir au pays natal afin d’y exercer le noble art qu’est la Médecine. Et d’ailleurs, n’avait-il pas signé « L’engagement décennal », certains s’en souviendront, engagement qui intimait l’ordre, au boursier de l’État gabonais, de servir la nation pendant 10 ans au sortir de sa formation?

Monsieur le Président,

De retour au Gabon en février 2003, ce jeune médecin a été recruté à la faculté de médecine de Libreville avec une prise de fonction en juin 2003. Entre les procédures d’obtention du poste budgétaire, d’authentification de son diplôme à la fonction publique gabonaise, d’homologation de son Doctorat en Médecine africain (alors que les diplômes français ne souffrent pas d’être homologués), ce jeune médecin a perçu son premier salaire le 25 décembre 2004, soit 18 mois après son recrutement. Peut-être ne serait-il pas superflu de rappeler qu’il n’y avait pas de présalaire à cette époque à l’enseignement supérieur. Et que ce jeune gabonais était l’heureux parent d’une petite fille dont il ne pouvait pas décemment s’occuper, n’eut été l’élan de solidarité familial dont il a bénéficié.

Monsieur le Président,

Ce 25 décembre 2004, savez-vous à combien s’élevait le salaire perçu par ce jeune médecin : 198.000 F CFA (environ 344 Dollars US, 302 Euros). Montant perçu après 5 heures d’attente au trésor public… Son sentiment… Quelle horreur! Pourquoi ne suis-je pas allé en France, en Angleterre, au États-Unis ou au Canada, comme l’on fait tous mes amis avec lesquels j’ai étudié??? Bien entendu, il fallait continuer les cavalcades de bureau en bureau pour se voir gratifier 2 mois plus tard (en février 2005, donc 2 ans après le retour au pays natal) d’une prime de logement de 200.000 F CFA (figurez-vous… la prime est ÉQUIVALENTE AU SALAIRE… une autre aberration… Mais bon… Comme on dit au pays… On va encore faire comment? Ceux qui savent si bien penser les choses on trouvé une logique à cela… Mais au final, n’est-ce pas pour payer des retraites de péquenauds aux travailleurs???).

Monsieur le Président,

Ce jeune médecin généraliste a obtenu une spécialité en 2005 puis a obtenu en 2008 une bourse de coopération française pour effectuer un 2ème doctorat de recherche en France. Doctorat qu’il a reçu avec tous les honneurs pour son pays car son séjour français a été sanctionné d’un prix international. Entre temps, ce jeune gabonais a perçu de l’État gabonais un montant de 10.000.000 F CFA au titre des rappels des 18 mois travaillés sans salaire. Cet argent a été mis dans un compte à la Banque de l’habitat afin de pouvoir acquérir un logement. Évidemment cela a accouché d’une souris, car pas de logements de disponibles à acheter avec 10.000.000 F CFA d’apport personnel, jugés forts insuffisants aux dires des conseillers de la Banque de l’Habitat par rapport à l’offre de l’époque (entre 40.000.000 F CFA et 80.000.000 F CFA). Cet argent a servi d’une part à l’acquisition en 2007 d’un terrain sans aucun document légal, vendu à 10 autres personnes ce qui a entraîné des batailles de chiffonniers et des menaces en tout genre pour savoir qui sera le véritable propriétaire de ce lopin de terre. Terrain situé dans une zone non viabilisée sans eau courante, ni électricité. Cet argent a servi d’autre part à l’acquisition d’un véhicule d’occasion de 10 ans (impossible d’acheter une voiture de moins de 5 ans vu les salaires minables dont nous sommes gratifiés).

Monsieur le Président,

Nous voici rendu en 2018. Il est triste de constater que sans les grèves que vous jugez dirigées pour leurs propres intérêts… Les enseignants-chercheurs n’auraient pas obtenu un terrain à Agondjé de feu Omar BONGO ONDIMBA, ne se seraient pas constitués Société Civile Immobilière et au final n’auraient pas, pour certains d’entre eux, espérer terminer leur carrière avec un toit au dessus de leur tête. La question suivante se pose alors : qu’en est-il des autres Médecins, ceux relevant du Ministère de la Santé Publique?

Au final, en se basant sur les faits récents, n’a-t-il pas fallu une grève des Médecins pour que ces derniers réussissent à percevoir le fruit de leur travail depuis ce vendredi
24 août 2018 ?

Monsieur le Président,

Le médecin dont je viens de vous narrer l’histoire se demande comment en étant recruté d’emblée en Catégorie A1, celle des cadres de la Nation et après 15 ans d’ancienneté à la fonction publique il ne puisse pas être rendu au même niveau que certains autres hauts fonctionnaires de ce pays qui en 10 ans sont passés de simple enseignant à l’école de la magistrature conduisant un véhicule d’occasion sans climatisation à super richissime, propriétaire de plusieurs villas cossues. L’estimation des coûts de construction, de finition, d’aménagements extérieurs et intérieurs desdites villas avoisinerait le demi-milliard de francs CFA/villa (estimation faite par nos propres soins, qui tentons désespérément de construire au Gabon).

Monsieur le Président,

Peut-être me permettrai-je maintenant de répondre à vos interrogations.

Pourquoi les médecins fonctionnaires font-ils grève ? Est-ce pour les Gabonais qu’ils bloquent le fonctionnement de l’hôpital ou pour leurs intérêts ?

Pour simplement percevoir ce qui leur ai dû. Un peu de justice quand même!!! Comment pourriez-vous concevoir que vous permettez de générer, par votre pratique journalière, des fonds à l’institution hospitalière dans laquelle vous exercez, mais que lors du paiement des quotes-parts, vous soyez TOUJOURS brimés, des fois même pas du tout payé et ce pendant des années. Avec l’avènement de la CNAMGS, les choses ont empirés, non pas du fait de la CNAMGS en totalité, mais surtout du manquement de l’État, qui n’honore pas ses engagements, ne paie pas ses dettes et ne reverserait même pas à la CNAMGS les frais retirés aux fonctionnaires dans leurs salaires.

Est-ce pour les gabonais que certains médecins détournent le matériel et les médicaments pour les revendre au prix fort dans les cliniques privées ?

Tout le monde sait, de la même façon que vous affirmez ces détournements des médecins, que la manne générée dans les hôpitaux est reversée en grande partie à la tutelle par le biais de mallettes noires. Le non respect de cette consigne tacite condamne le Directeur de l’institution hospitalière à un bref séjour à la tête de ladite institution. Alors, faites en sortes que de telles pratiques, qui participent au non paiement des quotes-parts, cessent au niveau de la tête, les membres et le reste du corps suivront!!!

Pour une meilleure prise en charge des patients ?

Oui Monsieur le Président. In fine, c’est le but de tous. La pratique de la médecine est impitoyable pour le praticien en premier. Si vous ne soignez pas bien vos patients, ils ne reviendront pas. De la même manière que vous avez rendu possible la gratuité des accouchements, nous pouvons rêvez de la gratuité COMPLÈTE des soins dans les structures publiques du Gabon. Ce n’est pas une utopie. C’est déjà le cas au Royaume Uni. Je vous invite à suivre le lien ci-après pour voir ce que les autres ont réussi chez eux depuis 1948 (https://www.youtube.com/watch?v=qMNuxPByEW0).

Et pourtant on n’a jamais construit autant d’hôpitaux de dernière génération que depuis 2009

Eh oui! Encore un choix pas très judicieux. N’a-t-on pas coutume de dire qu’il n’y a de richesse que d’Hommes? Ce ne sont pas les bâtiments qui feront la qualité des soins qui y seront donnés. Quels accents avez-vous mis sur la formation des personnels de santé? Rien du tout. Les étudiants de la faculté de médecine font cours à même le sol quand les enseignants pataugent dans les eaux de ruissellement de climatiseurs moribonds, les laboratoires sont agonisants, il n’y avait pas d’eau courante dans les bâtiments de la faculté de médecine pendant plus de 6 mois. Bâtiments complètement envahis par la vermine (souris et rats y prolifèrent allègrement). Et summum de l’insécurité, une étudiante a été assassinée en fin juillet 2018 dans l’enceinte même de la faculté de Médecine alors qu’elle venait s’enquérir de ses résultats scolaires de cette année, etc.

Ces hôpitaux de dernière génération comme vous dites sont déjà en piteux état, tristement illustrés par l’émission « Surface » du 7 août 2018. Pas de la faute des Directeurs de ces Institutions, mais de l’inexécution complète par l’État gabonais des marchés passés avec VAMED. VAMED qui semble avoir plié bagages sans avoir formé les personnes ressources à la maintenance des équipements fournis. Et surtout, la question que nous nous posons est de savoir comment VAMED a remporté le marché de construction desdits hôpitaux dont l’architecture ne CADRE PAS DU TOUT avec nos réalités climatiques… Quel architecte GABONAIS, et il y en de compétents, a été sélectionné pour valider ces projets de construction???

Monsieur le Président,

Enfin, était-il nécessaire et judicieux, pour réduire le train de vie de l’État, de traiter les fonctionnaires tels qu’ils l’ont été par ce énième recensement dont nous ne connaissons même pas la teneur du précédent?

Interdisez plutôt l’achat de véhicules de fonction dont le prix d’un seul suffirait à réparer la climatisation du bâtiment de la phase 2 du CHUL. Supprimez les missions à l’étranger des Ministres et des hauts cadres dirigeants pendant 3 ans voire 5 ans. Dans l’intervalle n’autorisez que les missions des personnes de terrains (des Techniciens). Le Gabon ne devrait abriter aucunes rencontres internationales pendant 3 ans voire 5 ans.

Monsieur le Président,

Et surtout, FORMEZ les personnes ressources de qualité. Construisez des écoles au lieu de transformer des écoles primaires en collèges. Améliorez les conditions d’accueil des étudiants dans les universités du pays. Arrêtez de nommer des non-diplômés et des incompétents à des postes stratégiques (des ministres tout droit sorti du banc de l’école sans aucune expérience professionnelle, en guise d’illustration). Chaque nom choisi devrait être suivi par le CV du candidat et la copie de ses diplômes.

Monsieur le Président,

Je termine mon propos avec une note d’espérance. Espoir que ces quelques lignes vous parviendront et qu’elles sauront faire vibrer encore plus fort, cette fibre patriotique qui transparait toutefois dans les propos que vous avez tenus lors de ce discours à la Nation du 16 août 2018.

Pour que Vive le Gabon.

Un Médecin fonctionnaire qui ASSUME son statut.

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