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Education nationale : à quel point faut-il s’inquiéter ?

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Faisons un rapide état des lieux, suivant l’actualité. La rentrée des classes n’est toujours pas effective. Aux dernières nouvelles, elle était censée avoir lieu le lundi 31 octobre dernier. Coïncident ainsi avec un jour férié, car c’est la célébration de la Toussaint. Simple ignorance ou énième preuve d’amateurisme ? A vous de voir.  Toujours est-il que les établissements étaient vides. Les raisons sont diverses. D’un côté, les deux principaux Syndicats du Secteurs qui durcissent le ton et maintiennent la grève générale ; d’un autre, le scepticisme des parents quant à la tenue effective de la rentrée ; et enfin, le climat peu sécuritaire qui règne dans le pays, particulièrement dans la capitale, Libreville.

A côté de tout ça, la sempiternelle question des effectifs pléthoriques liés à un manque de salles de classes qui, actuellement et plus que jamais, alimente les débats. Pour cause, les 34.000 nouveaux collégiens admis en 6ème qui n’ont toujours pas trouvé d’établissements d’accueil. Rendez-vous compte ; pour résoudre ce problème, l’Etat a eu la brillante idée de déshabiller Saint-Paul afin de vêtir Saint Jean. Plus concrètement, arracher au Primaire, qui souffre déjà du même problème, des établissements afin de les transformer en collèges. Doit-on rappeler à nos instruits – pour la plupart – de dirigeants qu’on ne résout pas un problème structurel avec des solutions de conjoncture ?

Autre fait d’actualité, la décision du Ministre de l’Education nationale de ramener à 1 les coefficients de toutes les matières vues au collège. En gros, désormais, toutes les matières de la 6ème en 3ème ont un coefficient de 1. Bref. Voici dans quoi nous nous sommes empêtrés.

Creusons maintenant un peu plus profond. C’est un secret de polichinelle, les problèmes rencontrés aujourd’hui dans le domaine de l’Éducation ne datent pas de 2009. En effet, l’on se souviendra qu’entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, de très vives manifestations orchestrées par les syndicats du secteur de l’Éducation, en tête desquels l’emblématique Syndicat de l’Education Nationale (SENA), avaient secouées le pays au point que le spectre de l’année blanche planait en permanence. Ces manifestations gagnaient du ton au fur et à mesure que les enseignants se rendaient compte que l’Etat se jouait d’eux en faisant à chaque fois des promesses qui n’étaient au final pas tenues. Cela conduisait à des émeutes d’une telle ampleur que d’aucuns disent même que le pays frôlait l’embrasement. Il faut préciser qu’à la même époque le pays traversait l’une de ses plus importantes crises politiques. Ça bougeait de partout. Comme à son habitude, en réponse à ces revendications, le Pouvoir décida de littéralement mater les enseignants. C’est dans le cours de ces événements déplorables qu’en 1992 l’enseignante et syndicaliste Martine OULABOU fut fauchée par une balle mortelle. Ce fut l’acte barbare de trop qui failli faire plonger le pays dans le chaos. Car l’opinion ne manqua pas de montrer sa désapprobation fasse à ce qu’elle qualifia d’assassinat.

Mais qu’est-ce que les enseignants réclamaient à cette époque ? C’est tout simple : les mêmes choses qu’aujourd’hui ! Les paiements des salaires, primes et allocations diverses, le fournissement en matériel didactique, la construction de nouvelles écoles, la mise en place de politiques visant à améliorer les conditions d’apprentissage pour les élèves, etc. Ça ne vous rappelle rien ? A cette époque, les infrastructures académiques dataient de l’époque coloniale et très peu de localités et bourgades avaient le privilège d’avoir une école ou un collège alors que le pays était économiquement au mieux de sa forme.

C’est suite à la colère née de l’assassinat de Martine OULABOU que l’Etat s’empressa de prendre quelques mesures vite fait afin de satisfaire les revendications des syndicats. D’ailleurs, la plupart des écoles, collèges et lycées que nous avons dans nos quartiers et villages aujourd’hui datent de cette époque. Il avait donc fallu en arriver là pour que l’Etat se bouge un peu.

Une vingtaine d’années plus tard, c’est chose tout à fait normale que les problèmes ressurgissent ! Puisque la population a grandi et les infrastructures sont restées exactement les mêmes. Comme si les dirigeants attendaient que la population crie au besoin ou pire, qu’un autre compatriote meurt, pour faire semblant d’agir. C’est d’ailleurs le cas aujourd’hui et depuis des années. La population quémande son droit à l’éducation.

Je disais tantôt que les problèmes du secteur de l’Education ne dataient pas d’aujourd’hui, mais rendons-nous à l’évidence : ceux qui dirigent aujourd’hui n’ont rien fait pour les résoudre alors qu’ils ne font que s’empirer.

Mai 2010 se tenaient les « Etats Généraux de l’Education, de la Recherche et de l‘Adéquation Formation-Emploi » au terme desquels un rapport de plus de 200 pages fut produit par des « experts » et professionnels du domaine. Au milieu de quelques sceptiques, la masse salua cette initiative qui était le gage non seulement de la bonne volonté des dirigeants mais aussi d’un système de formation futuriste. Mais nous oubliions une chose : il ne faut jamais sous-estimer la capacité de nos dirigeants à nous décevoir.

Dans la pléthore de mesures qui avaient été prises lors de ces assises, figurent notamment :

  • L’allocation par l’Etat d’une enveloppe de 1600 milliards étalés sur 10 ans pour entre autres la construction d’infrastructures
  • L’inscription annuelle de 1,5 milliards afin d’équiper les meilleurs élèves, étudiants et enseignants d’un ordinateur
  • Un ratio de 35 élèves par classe de la maternelle au secondaire, conditionné par la construction d’infrastructures adéquates sur toute l’étendue du territoire national.

2013, encore des promesses vêtues de chiffres vertigineux. En effet, le gouvernement inscrivait dans la loi de finance un budget de 20,17 milliards afin de financer :

  • 60 nouveaux lycées et leur équipement (7.6 milliards FCFA)
  • 10 nouveaux internats et leur équipement (2.5 milliards FCFA)
  • 5 rénovations d’internats (781 millions FCFA)
  • 1 lycée scientifique à Koulamoutou (4 milliards FCFA)
  • 1 Collège d’enseignement secondaire à Mpaga (300 millions FCFA)
  • L’extension et l’équipement du CES de Cocobeach (1.15 milliards FCFA)
  • L’achèvement des autres travaux en cours (3.8 milliards FCFA)

(Cf. mays-mouissi.com)

Nous sommes à l’aube de 2017 et absolument rien de tout ce qui vient d’être cité n’a vu le jour. « Si vous trouvez que l’Education coûte cher, essayez l’ignorance », disait Abraham LINCOLN. Hélas, il semble que nos dirigeants aient justement décidé d’essayer l’ignorance. Pourquoi ces politiques ont-elles été des échecs ? Que sont devenus ces fonds ? Qui sont les responsables ? Un gouvernement qui ne justifie ni ses actes, ni ses non-actes est un gouvernement qui n’accorde que peu d’importance à l’avis de ses concitoyens et donc à leurs attentes réelles.

Dans le public, les effectifs frôlent la centaine d’élèves, au moins, par classe. Que ce soit au Lycée de Sibang ou au Lycée d’Etat de l’Estuaire (LPIG), les élèves occupent à trois des tables-bancs censés ne recevoir que deux personnes ; à Diba-Diba, s’y rendre est un parcours de combattant ; il n’existe aucune école maternelle publique au Gabon ; les CDI sont à l’abandon du fait du manque d’ouvrages ; pas de transports d’élèves pour la plupart des établissements ; aucune bibliothèque publique ; et les chefs d’établissements créent des mesures arbitraires pour se faire de l’argent sur le dos des parents d’élèves (augmentation des frais d’inscription, de la carte scolaire, et autres exigences farfelues). Bref, le tableau est sombre.

Il nous souviendra qu’en 2012 déjà, 2 000 élèves de 6è avaient été contraints par le gouvernement d’aller étudier dans les infrastructures du Stade d’Angondjé… d’un stade ! Un des élèves y avait d’ailleurs malheureusement trouvé la mort. Le gouvernement assurait que c’était provisoire et que des établissements allaient voir le jour afin que cet état de choses ne se répète plus. Le même problème se pose aujourd’hui et si la la solution du stade n’est plus envisagée (peut-être à cause de la CAN qui approche et qui va s’y jouer), une solution non moins pire été prise de les caser dans des établissements primaires, le lycée d’Excellence de Libreville et même un hôtel qui seraient reconvertis en collèges. D’où l’impétueuse question : où sont les établissements promis et financés par le budget de l’Etat ? D’autant plus qu’aucun établissement n’a vu le jour sous le premier mandat du Président de la République actuel, aucun ! Et que l’Etat finance à hauteur de plusieurs centaines de millions des établissements privés tels que les Lycées Paul KOUYAT, Berthe et Jean, etc. Les deux établissements cités absorbant 60% des financements de l’Etat et appartenant à des proches collaborateurs du Président de la République.

Tout cela réuni, en plus du manque de matériel didactique et d’un suivi particulier, ne peut pas permettre aux apprenants de produire des résultats satisfaisants. Résultat des courses, le Gabon enregistre l’un des taux de redoublement et d’abandon les plus élevés au monde. Nous nous targuons souvent d’avoir un taux d’alphabétisation élevé, mais combien qui vont à l’école finissent leur cursus, et de ceux-là qui finissent même, combien y arrivent dans les délais conventionnels ? Etant donné que l’âge moyen de l’obtention du baccalauréat au Gabon est de 20 ans au lieu de 18 pour un élève ayant effectué son parcours normalement.

Comme piste de solution à ce problème, notre ex-enseignant de Ministre de l’Education nationale a décidé de faciliter les études aux collégiens, et donc se faciliter à soi-même la vie en abaissant tous les coefficients à 1. Faut-il encore démontrer ici l’absurdité de cette mesure ? Faut-il rappeler aux uns et aux autres que les matières ne s’équivalent pas compte tenu de leur importance pour la suite des études et qu’il est normal qu’on fournisse plus d’efforts dans certaines ?

En marge de toute cette cacophonie, les enseignants qui ne décolèrent pas face à des dirigeants qui se montrent hermétiques. « La présence de syndicats dans l’Education nationale est une chance et non un handicap pour le pays », nous rappelle François Bayrou, contrairement à ce que semble penser le Pouvoir. Pourtant, le même Pouvoir n’est pas étranger aux problèmes décriés par les enseignants. Il est de notoriété de nos dirigeants de prendre des mesures qu’ils sont incapables de respecter. Le cas de la PIP et de la PIF qui, dans le fond, n’étaient pas de mauvaises initiatives, mais dont le coût et les conséquences n’avaient été que mal évalués.  Aujourd’hui, ça leur a explosé à la figure et ils ne savent pas comment se sortir de ce bourbier. Mais ils l’avaient cherché. Pourquoi avoir instauré la Prime d’Incitation à la Performance, aujourd’hui supprimée, dans un contexte de crise économique liée à la baisse des prix du pétrole ? Pourquoi ne pas avoir construits de nouveaux collèges avant de supprimer le Concours d’entrée en sixième sachant que cela aurait irrémédiablement entraîné un accroissement des effectifs ?

Bref. Les problèmes de ce secteur sont innombrables et n’ont été que survolés dans cet article. Toujours est-il que c’est la jeunesse gabonaise qui paie le lourd tribu de cet amateurisme au sommet de l’Etat. Nos jeunes frères sont encore à la maison à l’heure actuelle sans être sûrs qu’ils retourneront à l’école un jour. La CAN 2017 sera peut-être une bonne consolation…

Ce n’était que mon Point de Vue.

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3 commentaires

  1. Très bonne analyse honnêtement, cependant en quoi la can total est-elle une consolation pour nos enfants ? Quoi un divertissement ? Vous ne trouvez pas que ce régime nous a suffisamment diverti durant 7ans? C’est dommage et pathétique que vous puissiez clore ainsi : c’est vraiment votre opinion

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