Benicien Bouschedy : «A la souffrance du peuple gabonais, ne lui ajoutez pas la peur !»

Il serait inhumain de ne manifester aucune empathie face au désastre que cause la pandémie du Coronavirus. Tous les médias en parlent et les discussions sociales invitent à cette morale de l’universelle : « la mort de tout homme me diminue parce que j’appartiens au genre humain ». Mais l’empathie n’exclue pas la raison. En suivant l’actualité gabonaise, il ressort plusieurs maladresses dans la communication du gouvernement et un mépris citoyen pour le peuple que nombreux prétendent servir. Je m’explique.
« Si l’Etat est prêt, la société doit l’être aussi »
Dans sa communication, Monsieur Mboumbou Miyakou nous a appris que l’Etat gabonais était prêt à défier, financièrement et médicalement, la propagation du Covid-19 et que la société gabonaise devrait l’être à son tour. Cependant, des questions surgissent avec honte : parle-t-il réellement du peuple dont les malades dorment à même le sol à Centre hospitalier universitaire de Libreville ou s’y font perfuser sur une chaise en plastique faute de lits ? De ces femmes qui accouchent à même le sol ? De ces lieux d’urgences impossibles ?
Si l’Etat a pris des mesures contre cette pandémie, qu’a-t-il fait pour éviter les inondations, le foisonnement des poubelles, les constructions anarchiques qui font que les eaux des toilettes ou caniveaux débordent, ruissellent ou stagnent devant les habitations ? Notre Etat responsable pense-t-il à ces populations qui vivent aux quartiers « La Baie des Cochons » et « Avea 2 », entre autres, où les mesures d’hygiène semblent improbables ?
« Prendre des mesures nécessaires sur le plan sanitaire »
En évoquant les mesures sanitaires, le Ministre n’a parlé que des cas probables de Libreville. Je trouve que parler de « mesures médicales » dans un pays où les populations décrient factuellement le manque de structures médicales est une hypocrisie. A-t-il pensé à ces populations qui vivent en province et contraintes à se soigner à l’indigénat ? A-t-il pensé aux populations de Malinga qui, faute de maison de soins et de route pour se rendre à Bongolo, sont obligées de traverser au Congo pour suivre les soins ?
« Se laver les mains à base d’eau et du savon ou d’alcool »
Depuis plus de cinquante ans qu’on essaie de fabriquer notre pays au climat humide et envahi de rivières, le manque d’eau potable demeure une préoccupation. Où trouverons-nous de l’eau pour constamment se laver les mains au moment où les robinets sont vides ? Le gouvernement a-t-il donné des consignes à la SEEG pour que tout le pays soit subitement couvert en eau ou a-t-il placé des fontaines publiques dans les rues ? L’alcool est-il gratuitement accessible dans les pharmacies pour faciliter l’applicabilité de cette mesure préventive ?
« Jeter immédiatement le mouchoir »
Où doit-on « immédiatement » jeter son mouchoir après avoir éternué ou toussé dedans, quand on sait qu’il n’existe pas de bac à ordure à chaque bout de rue au Gabon ? Serait-il civique de le faire dans la rue ou un caniveau juste parce qu’il faut s’en débarrasser par peur de conserver le probable virus ? Et les mouchoirs ? Avec quoi les achète-t-on?
« Eviter tout contact étroit avec une personne ayant de la fièvre et de la toux »
La fermeture des bars, écoles et universités semble acclamée par tous. Seulement, et le constat est évident, les attroupements de la Gare-routière ou de Petit-Paris où grouillent les gens, se frottent et s’entrelacent sans effort semblent ne pas attirer l’attention. Sinon, doit-on décider de la fermeture de ces milieux qui permettent à certains Gabonais de subvenir à leurs besoins en tenant des kiosques ? En fermant les bars et boîtes de nuit, a-t-on pensé à comment les propriétaires et les gérants de ces lieux régleront leurs factures et subviendront à leurs besoins et à ceux des leurs ? Qu’en sera-t-il des églises et des mosquées ?
A la souffrance du peuple, ne lui ajouter pas la peur
Si l’actualité mondiale sur la pandémie du Covid-19 est déjà si inquiétante pour les pays développés, elle l’est encore plus pour ceux dont les Etats manifestent une incapacité à répondre de ses responsabilités livrant. Pour notre pays, la situation invite à réfléchir. Pour ma part, la gravité du ton officiel et la rhétorique de la « responsabilité » ne rassurent pas. C’est une responsabilité en apparence. Nous avons affaire à un Etat qui menace publiquement une bête féroce avec un fusil de pointe sans cartouche. Aucune mesure d’accompagnement factuelle n’est visible sur toute l’étendue du territoire comparativement aux autres pays. Au moment où ailleurs ce sont les Chefs d’Etat qui se prononcent, le silence de Monsieur Ali Bongo sonne comme une « absence d’autorité au sommet de l’Etat » ou un déni de responsabilité de sa part alors que le peuple veut l’entendre.
En reconnaissant les efforts du Ministre à communiquer sur les comportements sociaux à adopter, il faut avouer que l’Etat (en tant qu’entité politique) est incapable d’être responsable et de subvenir aux malheurs des Gabonais. Je prends à témoin les tuberculeux de Nkembo que l’Etat n’a jamais isolés pour éviter la contagion, les inondations, les détournements de fonds, les grèves à répétition, l’état des routes, les conditions dans lesquelles vivent quotidiennement les populations. Dois-je ajouter la situation de l’Ecole gabonaise ? Pour que le peuple soit solidaire d’un gouvernement, il faut que les membres de ce dernier produisent des efforts pour son bien-être au lieu de lui pomper des discours et des promesses sans effet.
Benicien BOUSCHEDY, Écrivain gabonais